Un impérieux besoin d’analyse (… et de théorie)

Dans un récent entretien accordé à l’Huma-Dimanche, le secrétaire national du PCF Pierre Laurent précise – à l’approche du prochain congrès de sa formation – que «…nous n’allons pas refaire le Congrès d’il y a dix ans pour savoir s’il faut un Parti Communiste, cette question a été tranchée. Notre débat doit définir les transformations nécessaires pour que le Parti communiste joue pleinement son rôle »…

Bien que je partage totalement ce point de vue, l’assertion mériterait néanmoins d’être circonstanciée – dès lors que nombre de militants, y compris dans les rangs du PCF, ne croient plus fondamentalement à l’existence nécessaire d’un parti communiste (…ou à sa capacité effective à « se révolutionner »), face au succès apparent d’un certain « mouvementisme » en France et en Europe (directement inspiré par un « populisme » dit de gauche), qu’il serait opportun de suivre – par raison d’efficacité -, voire dans lequel il serait judicieux de se fondre… 1

Ce débat n’est pas clos.., loin de là. Mais, pour avancer (…et «trancher» le cas échéant ?!), il faut faire un peu de « théorie» (et d’histoire) : S’il y a effectivement besoin d’une organisation communiste révolutionnaire – autonome en sa stratégie -, ce n’est pas par attachement suranné à une page de l’histoire (qui s’est bel et bien tournée), ni par repli identitaire. Nous essaierons de voir pourquoi :

Pour autant que l’on ait enfin compris que l’antagonisme de classes (entre la classe capitaliste et la classe laborieuse), s’il constitue bien le «moteur de l’histoire», ne contient pas à lui seul le moteur du «changement» tel qu’il peut être vécu et ressenti par les acteurs sociaux (…pour qu’ils deviennent effectivement «acteurs de l’histoire), la dilution du concept de «lutte des classes» dans de nouveaux antagonismes (du type «dégagisme», entre peuple et oligarchie ») ne peut que brouiller à terme l’analyse et mener à quelques apories.

Loin du modèle simplificateur faisant de tout parti communiste l’avant-garde et le bras armé de la «classe ouvrière» – pour prendre le pouvoir et abattre la domination capitaliste (…ce qui peut-être convenait à la situation de la Russie du début du siècle, mais dont la généralisation abusive par l’Internationale communiste a mené aux pires échecs et aux pires catastrophes) -, il convient de fait de prendre en compte, dans l’établissement et la mise en œuvre d’une stratégie de transformation révolutionnaire de la société, l’ensemble des marqueurs de domination et d’exploitation (…une «analyse concrète de la situation concrète» – comme aurait dit le camarade – qui ne soit ni spéculative, ni platement pragmatique, mais complexe.., fondamentalement complexe).

Celle-ci impose de dialectiser l’ensemble des rapports sociaux à l’échelle d’une communauté – elle-même incluse dans quelque chose qui s’appelle la «mondialisation» – et d’en hiérarchiser l’efficace en vue d’un dépassement effectif du système capitaliste (c’est-à-dire de rapports de production – et de consommation – fondés sur l’exploitation et la recherche par tous les moyens du profit maximum, entraînant par là-même la reproduction – voire l’extension – de toutes les autres formes de domination).

On peut faire crédit au Parti communiste d’avoir su, bon an mal an, faire ce chemin – par nature «autocritique» vu ses origines et quelques errements passagers… Mais il y a encore et toujours loin de la coupe aux lèvres.. : Qu’en est-il aujourd’hui de sa capacité à incarner les intérêts de la classe laborieuse (au sens large, c’est-à-dire pas seulement la classe dite «ouvrière», mais aussi toutes celles et tous ceux que le système actuel a tendance à «prolétariser», jusqu’aux cadres et professions intellectuelles…) et à porter dans le temps les aspirations novatrices des couches et milieux les plus divers (d’un point de vue social, culturel, de genre ou générationnel…) ?

A ce moment crucial de l’histoire politique de notre pays (…comme en d’autres pays d’Europe), face à la contre-offensive violente et radicale des forces ultra-libérales, il pourrait être tentant – électoralement parlant – de «parler à tous» (…pour «construire un peuple», comme le prône par exemple Chantal Mouffe, égérie du populisme dit de gauche inspirant notamment le mouvement de la France Insoumise) et de vouloir agréger tous les mécontentements, les légitimes indignations et les justes aspirations à une société meilleure libérée des contraintes du «vieux monde».

Mais cela suffira-t-il – non pas seulement à faire «peuple» (…pour autant d’ailleurs que cela réussisse, car pour l’instant c’est plutôt le populisme de droite qui, en Europe et outre-Atlantique, emporte la mise..!), mais plus durablement à faire «projet» (et stratégie consciente, organisée et déterminée pour oeuvrer au dépassement réel du capitalisme (…et pas seulement au remplacement d’une élite par une autre, d’un chef par un autre, ou d’un système de représentation par un autre) ?

Si, de ce point de vue, le combat pour une refonte complète des institutions se justifie pleinement au regard de la crise avérée de la démocratie prétendument représentative, du renforcement du caporalisme présidentiel et de la prévalence abusive de l’exécutif (et des forces de l’argent) sur un législatif de plus en plus rabougri et manipulé, l’horizon de l’avènement d’une VIème République ne suffit certes pas à lui seul pour résoudre tous les problèmes. Peut-être même qu’à vouloir ainsi «construire un peuple» (accéder au pouvoir en surfant sur une vague populiste – même éclairée par une saine éducation populaire – tout en promettant de lui rendre par la suite sa souveraineté grâce à des dispositifs plus «participatifs»), on prend le risque de se focaliser outre mesure sur l’instance étatique (voire électorale) et d’occulter dans le même temps les contradictions de classes traversant toutes nos sociétés.

A cet égard, la volonté affichée par certains de dépasser le clivage droite/gauche et de supplanter les partis politiques dits traditionnels (…parce qu’ils auraient failli ou qu’ils représenteraient le «vieux monde») ne risque-t-elle pas de rejoindre en fin de compte une conception «hégémonique» du devenir social ?

Mais comment imaginer qu’un parti aujourd’hui, quel qu’il soit (ou un mouvement), puisse à lui seul prétendre incarner et globaliser la «volonté populaire» – par simple agrégation ou mise en circulation d’intérêts et d’aspirations (…aussi progressistes fussent-elles) venant d’horizons aussi divers, sans consensus étayé sur la nature de classes de la crise, sur l’identification de ses causes et sur les moyens à mobiliser dans la durée pour la dépasser ?

Or il est un fait que dans notre république, fruit d’une longue histoire faite de luttes, d’acquis et de compromis – exprimant des rapports de forces entre classes et mouvements sociaux -, les différents courants représentatifs de visions transformatrices (ou au contraire conservatrices) de la société se sont historiquement constitués en partis politiques (de droite ou de gauche…) qui, pour le meilleur et pour le pire, s’attachent à structurer le sentiment populaire autour des valeurs qu’ils entendent défendre et des conceptions de la société qu’ils essaient de promouvoir. Et c’est du jeu démocratique entre ces forces politiques constituées (…en «armées» de militants et de sympathisants, mais aussi en «intellectuels collectifs» lorsque leur mode de fonctionnement le permet, voire l’encourage) que ressort l’équilibre toujours tangent du partage du pouvoir étatique à tous niveaux et/ou du contrat social qui unit contradictoirement un peuple autour de sa destinée.

Cette «res publica» – qui définit donc le champs du «politique» – est une conquête et une construction historique (toujours évolutive) incommensurable. C’est dans cet espace-temps – dans ce «champs de forces»… – que peuvent s’exprimer contradictoirement, mais aussi le plus démocratiquement possible, les forces politiques représentatives des intérêts de classes, de catégories, de genres et de générations.

Le temps serait-il venu de contester ou de renoncer aux bienfaits de cette œuvre humaine, et de revenir à des conceptions «hégémoniques» de l’histoire ? A l’encontre de tout risque totalitaire, nous continuons au contraire de penser que le multipartisme et la «forme-parti» en tant que telle – même si elle doit nécessairement évoluer, notamment sur ses tendances au caporalisme...- constituent le creuset de la formation «d’intellectuels collectifs» aptes à donner force, forme et figure aux aspirations populaires dans leur diversité et leurs antagonismes : La démocratie est faite d’oppositions, de débats et de compromis.. !

C’est alors que se pose la question de savoir où en sont les «partis» dans notre France d’aujourd’hui ? Le paysage politique dit traditionnel peut paraître bien dévasté, avec une droite défaite qui se radicalise sur ses positions les plus conservatrices / une extrême-droite certes mal en point sur le plan organisationnel, mais qui reste tapie sur son fonds de commerce en croissance potentielle / un parti socialiste dont la chute pourrait laisser penser à une disparition pure et simple du courant social-démocrate (…mais il n’en est rien : Entre recyclage massif de cadres chez Macron et désarroi passager de la masse des sympathisants, il ne fait aucun doute que ce courant retrouvera à s’exprimer sous d’autres formes que celle que l’exercice malheureux, mais volontaire, du pouvoir a usée et même discréditée).

Les deux «gagnants» de la dernière séquence électorale présidentielle-législative restent in-fine – comme en miroir – le parti du mouvement Macron et celui de Mélenchon, tous deux sur la base d’un discours idéologique de naturel «populiste» (…le nouveau contre l’ancien / le peuple contre l’élite / la modernité contre les conservatismes / le progrès contre la régression) – même si bien sûr les ressorts en diffèrent. De là à penser que ces «nouvelles» façons de faire de la politique (et de la communication) pourraient révolutionner les pratiques démocratiques, il n’y a qu’un pas. Mais ce qui «marche» (…électoralement parlant) a-t-il plus de valeur que ce qui se construit patiemment à l’aune d’une véritable entreprise organisationnelle ?

Le Parti Communiste Français pour ce qui le concerne – quasiment absent du paysage électoral, du fait notamment de son ralliement sans conditions à la candidature Mélenchon dès le 1er tour, sans prise en compte de ce qui était en train de se passer au PS avec la montée de la candidature Hamon – a-t-il encore quelque chose à dire et quelque chose à faire dans ce paysage pour le moins chamboulé ?

Comme cela est clairement exposé dans les récentes tribunes de Jean-François Gau et de Dominique Baillet (dans l’Humanité du 23 Octobre), la réponse est oui pour autant que le PCF sache d’une part résister à la tentation de tout ralliement populiste, et d’autre part renouveler son corpus de classe (…de nature marxiste).

A quoi j’ajouterais sa capacitéen l’état actuel de ses forces militantes, très affaiblies, et ses divisions internes, non résolues lors des précédents congrès (?) – à faire une analyse critique la plus objective possible de sa stratégie d’union et de sa lisibilité au cours des dernières décennies. Car, toujours dans le même entretien dans l’Huma-Dimanche, Pierre Laurent poursuit : «…Nous sortons de quarante ans d’union de la gauche, et entrons dans une nouvelle période, avec de nouveaux adversaires à affronter, et de nouveaux partenaires à venir; donc notre rôle doit être réévalué»

Pour être plus précis et plus conforme à l’histoire, il y a quarante ans très exactement (…en 1977 donc), nous connaissions alors plutôt l’échec de la renégociation du Programme Commun (signé en 1972)… Comme quoi la stratégie dite d’union de la gauche remonte de fait à bien plus longtemps, puisque ses prémisses datent déjà de la fin des années soixante (…pour le moins), avec notre bataille pour la signature du Programme Commun, censé ouvrir un débouché «politique» au grand mouvement social de Mai-Juin 1968 (…on en serait alors à pas moins de cinquante ans !). Mais a-t-on vraiment fait le bilan critique sincère de cette période et de ses résultats 2 ?

Mais l’histoire a passé par la suite, et les congrès successifs du PCF n’ont pas su analyser l’affaiblissement de leur parti autrement que comme une conséquence néfaste d’une «union au sommet» mal comprise par le peuple, par ailleurs déçu par l’orientation social-démocrate du PS alors au pouvoir. Dès lors la voie était ouverte, faute d’analyse politique sérieuse, pour l’émergence au sein même du parti d’un courant militant activement pour la constitution d’un «pôle de radicalité» prenant toutes ses distances vis-à-vis du PS (voir l’appel «La gauche que nous voulons» paru dans l’Huma en Aout 2003) : Stratégie de rupture vis-à-vis de la tradition historique unitaire du PCF 3, qui a petit à petit fait son nid, sans se voir combattue (…idéologiquement parlant) comme on aurait pu l’attendre de la part des directions successives, qui ont toujours préféré accorder la primauté à la sauvegarde (…même de façade) de l’unité du parti.

Alors posons-nous la question : Le PCF ne serait-il pas ainsi progressivement et subrepticement passé d’une stratégie qualifiée de «tête-à-tête avec le PS» à un tête-à-tête tout aussi mortifère avec JL.Mélenchon – d’abord avec la stratégie du «Front de Gauche» (que nous n’avons pas su animer pleinement, il faut le reconnaître, ni faire fructifier…), puis dans un affrontement fratricide avec la «France Insoumise» (…dont l’objectif déclaré aujourd’hui est bien de «faire la peau» au PC, après avoir formellement ou apparemment fait celle du PS…) ?

Mais, comme cela a été dit plus haut, je ne pense pas que, malgré sa déconfiture actuelle, le courant social-démocrate (dans ses différentes composantes, allant du social-libéral au social-libertaire) soit définitivement, ni même durablement, rayé de la carte.. : Il se renouvellera, tout en s’éparpillant peut-être et en essaimant dans différentes chapelles (…allant de Hamon à Macron, et d’autres encore).

Quant à la tournure violemment anti-PC du discours de l’actuel leader de la France Insoumise (et nonobstant le comportement agressivement hégémonique de nombre de candidat(e)s de la France Insoumise face à des candidat(e)s Front de Gauche aux Législatives de Juin 2017), on saura en prendre acte sans naïveté, mais sans prendre non plus le risque de s’enfermer dans des rancunes ou des polémiques stériles (…Nos mains doivent bien sûr rester «tendues», et nos esprits ouverts à tout ce qui peut aller dans le sens de rassemblements convergents !).

Quoiqu’il en soit, se pose maintenant pour les communistes, avec plus d’acuité que jamais, la question de savoir dans quel sens diriger leur nécessaire politique de rassemblement ? De façon peut-être un peu paradoxale, je dirais que pour «réévaluer son rôle» – comme nous y invite à juste titre Pierre Laurent à l’approche du prochain congrès -, le Parti Communiste doit tout-à-la-fois élargir et renouveler le champs de ses alliances possibles et nécessaires pour contribuer à l’émergence d’un rassemblement populaire à vocation majoritaire dans le pays (seul susceptible de faire obstacle à la contre-révolution libérale et aux dérives populistes), et se recentrer sur son rôle «d’intellectuel collectif» constitué – sous forme-parti – en organisation politique autonome de toute fusion ou dilution dans quelque mouvance, mouvement ou «front» que ce soit…

Pour paradoxal qu’il puisse paraître, cet appel à un double mouvement – …de recentrage et d’élargissement – et la tension apparente qu’il peut laisser accroire, ne procède d’aucun aphorisme, ni d’aucun anachronisme. Car c’est maintenant qu’il nous faut en venir : A la distinction qu’il nous appartient de faire clairement entre «lutte politique» et «lutte idéologique» ..:

Pour autant qu’un parti communiste digne de ce nom se doive de rester fidèle aux principes de l’analyse marxiste et du matérialisme dialectique – sans cesse à actualiser et à renouveler, bien sûr, au regard du «mouvement réel» (des sociétés, des systèmes économiques, des rapports sociaux de par le monde, comme du mouvement des idées…), car sans théorie il n’est point de mouvement révolutionnaire -, il n’est pas là non plus pour rester au ciel des idées, ni se transformer en «club» pour entretenir un sanctuaire de concepts philosophiques éthérés.

C’est donc à une double aventure que le parti communiste est convoqué s’il veut relever le défi :

– Actualiser son corpus théorique (que nous rangerons de façon par trop schématique dans le champs de la «lutte idéologique», même si elle ne se limite pas à çà…), c’est-à-dire préciser absolument la dimension universaliste de «l’hypothèse communiste» – comme la spécifie le philosophe Alain Badiou – (ou la «visée communiste» si l’on préfère…) en tant que société à construire, mouvement réel et destin de l’humanité..,

– Se positionner concrètement, partout et toujours, sur les terrains de la lutte des idées et des mobilisations dans l’action (…sociales, politiques, culturelles) pour créer les conditions de rassemblements gagnants en faveur de la défense d’acquis menacés ou de la conquête de nouveaux droits émancipateurs.

Nota : Cette présence dans les luttes s’accompagne naturellement, pour un parti comme le nôtre, par une présence active et visible dans les batailles électorales, visant à gagner des positions électives représentatives des intérêts de la classe laborieuse élargie (voir plus haut), et participer utilement – en partage de pouvoir – à la gestion des affaires publiques (ou entrepreneuriales) à tous niveaux.

Comme il a été dit plus haut, dès lors que l’on ne s’accroche pas à une conception «hégémoniste» du pouvoir, mais qu’on le conçoit comme un mode de gestion démocratique (c’est-à-dire forcément partagé), alors des compromis et des alliances doivent pouvoir se négocier entre formations diverses – voire divergentes en leurs analyses et leurs projets, mais se réclamant des valeurs de la «gauche» (c’est-à-dire d’une certaine forme de subjectivité politique rendant possible un rassemblement populaire sur des contenus objectifs – toujours à affermir…). Pour gagner ainsi des positions, les alliances sont tactiquement et stratégiquement nécessaires ; elles peuvent être plus ou moins durables ou circonstancielles : Elles doivent en tout état de cause respecter quelques principes d’autonomie et ne pas porter préjudice à la lisibilité de l’identité de chacune des parties.4

Pour le dire autrement, le temps est sans doute venu pour le PCF d’aller au bout de sa démarche «républicaine» – à la française – d’union et de rassemblement sur le terrain «politique» – en assumant désormais une parfaite «séparation» entre le Parti et l’Etat :

Il y a d’un côté ce qui relève du «parti» en tant qu’intellectuel collectif et école de formation (et de confrontation de points de vue) en vue de l’établissement d’une «ligne» (politique et philosophique), et de l’autre il y a l’Etat (…au sens large, de l’état central à la commune) et ce qui relève de la conception démocratique et républicaine que s’en fait le PCF, à partir de la reconnaissance de son caractère forcément pluriel (c’est-à-dire contradictoirement disputé et/ou partagé, non hégémonique, source et lieu d’oppositions mais aussi de compromis…).

Sur ce plan, le moins que l’on puisse dire est que la «ligne» du PCF en la matière n’a pas péché ces dernières décennies par excès de clarté ni de lisibilité (…entre la théorie du «un pied dedans/un pied dehors», les entrées-sorties du gouvernement, ou les allers-et-venues dans les rapports PC-PS, ou même dans les rapports PC-Front de Gauche, puis PC-Front de Gauche-France Insoumise…). Désarçonné par ce qui a pu apparaître de fait comme des hésitations et des errements, l’électorat a souvent cédé à ce qui lui apparaissait comme le plus utile (ou le plus attrayant)…

Alors qu’au nom d’une nécessaire unité d’action populaire prolongeant la réelle «dynamique» de la campagne présidentielle de JL.Mélenchon, un appel circule désormais sur les réseaux sociaux en faveur de la constitution d’une «force commune» 5émanant de la part de celles et ceux qui avaient déjà promu la candidature unique de Jean-Luc Mélenchon avant le 1er tour de la Présidentielle, tout en récusant toute alliance avec le PS… 6 -, force est néanmoins de faire le constat non seulement de convergences objectives et appréciables entre le programme de la France Insoumise et celui du PCF, mais aussi – et plus que jamais – de divergences de fond sur la stratégie, sur la conception du changement et sur le type de rassemblement à construire…

A partir de quoi la recherche idoine et légitime d’unité et de rassemblement dans l’action7 ne devrait pas jouer en faveur de l’effacement de l’une ou l’autre des deux parties – de même que «l’union au sommet» si décriée en son temps avec le PS ne pouvait ni ne devait être synonyme d’effacement ou de caution durable à son irrésistible dérive social-libérale. L’enjeu reste bien aujourd’hui de rassembler effectivement le plus largement possible – mais sans exclusive : ni vis-à-vis des Verts, ni vis-à-vis de la France Insoumise, ni vis-à-vis de l’électorat et de la masse des sympathisants historiques du PS, ni vis-à-vis de toute mouvance citoyenne (Exemple : «Nuit Debout» et autres…) visant à construire une alternative au capitalisme ambiant.

De fait, une clarté absolue s’impose maintenant, qui passe vraisemblablement par un effort théorique de distinction formelle entre identité communiste au sens propre et stratégie d’alliances et d’opportunités électorales (…sans perte d’autonomie ni d’identité). C’est à ce prix (celui d’une rupture avec toute tentation suiviste ou fusionnelle vis-à-vis de quiconque, d’une affirmation de l’autonomie absolue de la stratégie communiste, et de l’indépendance de son appareil militant et dirigeant) que le Parti Communiste pourra – …selon moi – continuer à exister et à se rendre utile au «mouvement réel qui abolit l’état existant»… – c’est-à-dire au peuple en quête de communisme.

Je serais même également tenté (…au risque assumé d’apparaître comme un nostalgique du «centralisme démocratique» ?!) de revendiquer – ou d’appeler de mes vœux – une nécessaire unité du parti autour de sa ligne stratégique : Comment imaginer accéder à quelque lisibilité que ce soit pour le plus grand nombre, si continuent de coexister dans ce même parti des courants aussi opposés sur le fond que de vrais nostalgiques du modèle bolchevique, des communistes dits «unitaires» et de fervents partisans de la dilution dans une «force commune» rassemblant opportunément déçus du PS, anciens communistes et nouveaux arrivistes ..?

Il faudra bien qu’un jour, sans sectarisme, on en vienne à définir précisément en quoi réside l’irréductible identité communiste – en son projet (… ou sa «visée»), son fondement scientifique (… ou philosophique), sa théorie du changement démocratique, sa conception du rassemblement, et sa propre conception de l’organisation… (à l’encontre et à revers de toute forme de populisme, d’ouvriérisme, d’anarcho-syndicalisme, de social-libéralisme ou même de gauchisme – toujours latent lorsque l’issue unitaire s’estompe…)8

Concernant plus précisément le mode d’organisation des «forme-parti», on notera accessoirement combien l’appel précité en faveur de la constitution d’une «force commune» dans laquelle le PCF devrait se fondre, pointe de façon critique ce temps où des «masses se voyaient embrigadées autour de mots d’ordre tombés du haut d’organisations verticales et monolithiques, construites sur la discipline et l’oubli de soi» (sic), invitant ainsi tout un chacun à agir «sans avoir à passer par un «centre» qui commanderait tout».. ?! On ne sait à qui s’adressent véritablement ces critiques acerbes sur le fonctionnement traditionnel des partis (…au PCF qui s’est historiquement attaché à faire prévaloir en son organisation interne – et non sans anicroches parfois – les conditions réelles de la souveraineté de ses adhérents ? Ou à la «France Insoumise» qui, en dehors de tous statuts communément validés, est coachée par un leader-maximo et une caste d’apparatchiks auto-désignés ?).

Sans doute, sur cette question de la démocratie interne à chaque parti ou mouvement, le plus important n’est pas de rechercher dès à présent ni la «paille» ni la «poutre» dans l’oeil de l’autre, mais le constat de ces divergences notables reste symptomatique d’une conception plus ou moins instrumentalisée de la citoyenneté effective. Pour ce qui concerne le PCF, sans forcément revenir au «centralisme démocratique» qui a vécu, la question reste posée néanmoins d’une exigence de clarté et de lisibilité qui, sans faire obstacle aux nécessaires débats internes et au respect de la liberté de penser et de s’exprimer, ne fasse pas non plus de la diversité de points de vue au sein du même parti – et moins encore de la tolérance de «tendances» organisées – une vertu ou un objectif en soi. Espérons en tous cas que le prochain congrès du PCF se conclue – à la différence de ceux qui l’ont précédé ces dernières années – sur autre chose que sur une pseudo-synthèse faussement consensuelle : Les enjeux qui se clarifient pour la période à venir exigent désormais une véritable unité de la pensée communiste dans l’action.

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Ainsi donc, je me dirai pour conclure provisoirement en plein accord avec Pierre Laurent sur le double défi à relever maintenant :

OUI, notre société a effectivement plus que jamais besoin, pour construire un avenir d’émancipation réelle, d’un parti communiste organisé, fidèle à sa philosophie, et fidèle en lui-même à sa propre mutation,

OUI, les communistes ont la lourde tache d’ici leur prochain congrès de se définir une ligne claire :

«Camarades, encore un effort si nous voulons être et rester communistes..! »9

Serge GOUTMANN

Architecte – Ancien élu PCF de Chelles (Seine-et-Marne)

1 On notera à cet égard le léger glissement sémantique dans l’intitulé du dernier appel de la mouvance «Faisons front commun» (en soutien à la candidature unique de JL.Mélenchon dès le 1er tour) qui appelle désormais à la constitution d’une «force commune»…

2 Période dite «d’union de la gauche» menant à l’élection en 1981 de F.Mitterrand et la participation de ministres communistes à un gouvernement (dont le bilan fut comparé en son temps par G.Marchais lui-même à celui du gouvernement de la Libération).

3 Tradition historique patiemment construite – souvent à l’encontre de la main-mise et du modèle soviétique -, depuis l’adresse de Maurice Thorez aux croyants, la politique de la «main tendue», les grandes campagnes pour «du pain et la démocratie», le rôle du PCF dans la Résistance, etc, etc…

4 C’est à cet objectif politique que s’attachait en toute cohérence la stratégie dite de «l’union de la gauche» (…quelles qu’en fussent les conséquences ou les malentendus). A contrario, le refus dans la période récente de toute alliance avec le PS depuis l’émergence de la stratégie dite du «Front de Gauche» a objectivement conduit à des pertes de positions regrettables (tant pour la gauche prise dans son ensemble – qui ne représente plus guère qu’un tiers de l’électorat – que pour le PCF lui-même). Il faudra qu’un jour on nous explique en quoi l’accession de la droite dure à la tête de la Région Ile-de-France par exemple, comme de nombreuses municipalités anciennement à gauche, constitue une avancée politique pour le mouvement populaire et pour le quotidien des administrés ?

5 Notons à nouveau le singulier glissement sémantique qui surfe savamment, au fil du texte de l’appel, entre : «Faisons force en commun» …/… «Pour construire une force politique d’alternative démocratique, sociale et écologique» …/… «Faire force politique commune»… Chacun conviendra, s’il sait lire entre les lignes, qu’il y a une différence entre une force «en commun» (regroupant de façon explicite plusieurs forces politiques identifiées) et une force «commune» (dont il est dit par ailleurs que la «France Insoumise» a une responsabilité première pour l’impulser…)

Souvenons-nous, sans esprit polémique ou rancunier, que si l’on ne peut bien sûr additionner abstraitement leurs scores, les deux candidats JL.Mélenchon et Benoît Hamon ont totalisé près de 26% des voix à l’issue du premier tour, les plaçant arithmétiquement en tête de tous les candidats – ce qui aurait pu, même avec une marge d’erreur ou de dispersion, nous éviter un deuxième tour Macron-FN aujourd’hui tristement banalisé. Lourde responsabilité historique.. : On peut certes se réjouir du résultat obtenu – grâce à l’apport non négligeable du PCF – par le candidat JLM2017, mais quelle occasion perdue, quand on voit la façon dont aujourd’hui le macronisme rebat les cartes et asservit le mouvement social, malgré les efforts de résistance dispersés des centrales syndicales et des formations de la gauche alternative !

Volonté d’impulser un large rassemblement populaire – de la part du PCF principalement – qui s’est notamment traduite sur le plan électoral à deux reprises au moins : Pour la Présidentielle 2012, puis pour la Présidentielle 2017, avec un résultat apparemment encourageant.., même si l’essai n’a pas été transformé – et pour cause – aux Législatives 2017 qui ont suivi, du fait de la concurrence déclarée – et souvent déloyale sur le terrain – entre candidats de la France Insoumise et candidats PC-Front de Gauche…

8 Désolé pour cette liste à la Prévert un peu «catégorisante», mais les camarades qui ont un peu d’expérience trouveront aisément à reconnaître de quoi il est ici question, derrière tous ces noms d’oiseaux… (auxquels on pourrait d’ailleurs adjoindre l’espèce dite «réformiste» -… le mouvement de la France Insoumise n’échappant pas pour ce qui le concerne à cet avatar. Mais nous aurions mauvaise grâce à récuser ce qualificatif, puisque nous sommes capables nous-mêmes d’assumer notre part de «réformisme» dans notre programme et nos postures, sans heurts majeurs avec notre philosophie et stratégie révolutionnaires !).

9 Paraphrase d’un texte du Marquis de Sade : «Français, encore un effort si vous voulez être républicains»…

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