Il n’est pas rare de nos jours, dès lors que l’on continue de penser «union de la gauche» – et dans la circonstance présente : «candidature unique» de rassemblement de toute la gauche et des écologistes, pour pouvoir prétendre à être qualifiés le cas échéant pour le second tour de la présidentielle en Avril-Mai prochains -, il n’est pas rare de se voir traiter de ringard, de passéiste, d’adepte de vieilles combinaisons politiciennes, sources d’illusions renouvelées sur la «nature profonde» du PS… Mais d’où vient que l’intransigeance à gauche, parée des atours d’une posture dite de «radicalité», puisse s’ériger en nouvelle vertu politique et s’autoproclamer «stratégie de rupture» efficace ?
À vrai dire, cette opposition interne au sein de la gauche ne date pas d’aujourd’hui : Elle remonte pour le moins aux années vingt (…il y a près d’un siècle !), date à laquelle le courant qui se veut «révolutionnaire» doit signer les vingt-et-une conditions posées par la IIIème Internationale d’obédience bolchevique, dont celles qui placent la lutte à mort contre la social-démocratie avant la stratégie «classe contre classe». Mais au fil des ans, et dans la situation particulière de l’Europe et plus particulièrement de notre pays – la France -, le PCF affirme progressivement sa singularité : En tendant la main aux croyants, en soutenant le gouvernement du Front Populaire en 1936, en incarnant la Résistance nationale pendant la seconde guerre, en participant au gouvernement du Général De Gaulle à la Libération, en oeuvrant ardemment à partir de 1968 à l’union de la gauche et à la signature du Programme Commun, en travaillant avec Enrico Berlinguer et Santiago Carrillo à l’émergence de «l’eurocommunisme»… – bref à s’émanciper progressivement de la tutelle soviétique, en essayant de dessiner une voie originale de passage démocratique au socialisme à visage humain.
Dans le même temps, il faut le reconnaître et bien l’analyser, le courant social-démocrate se radicalise et assume de plus en plus pleinement son ralliement au social-libéralisme, aussi bien sur le plan économique que sur le plan social, celui des libertés et de la sécurité ou des relations internationales… Bref rappel historique, par trop schématique.. : Mais où en est-on aujourd’hui, pour ce qui nous concerne, avec la stratégie du Front de Gauche, puis de la «France Insoumise», et le ralliement – sans conditions désormais – à la posture autocratique du candidat Mélenchon ?
Pour mieux comprendre ce qui se joue actuellement, un petit «détour théorique» s’impose pour distinguer ce qui, dans notre stratégie, relève de la lutte idéologique et ce qui relève de la lutte politique : Dans sa définition, la «politique» n’est pas seulement l’art de la confrontation (des forces et des idées), mais aussi l’art du dialogue dans la recherche d’un consensus majoritaire permettant de conduire et d’assurer la gestion des affaires communes d’une collectivité (…d’un pays, d’une assemblée, d’une ville, d’une communauté, et pourquoi du monde..?).
C’est tout à l’honneur du Parti Communiste Français que d’avoir compris au fil des ans que la «radicalité» de ses idées révolutionnaires et de son programme anti-capitaliste n’empêchait pas de s’inscrire dans le jeu démocratique (…même si l’on connaît par ailleurs les limites institutionnelles des régimes représentatifs de type parlementaire ou présidentiel), et de conclure sur le plan politique des alliances pour accéder au pouvoir (pas forcément seul), de partager la responsabilité de la gestion commune (étatique) et d’y représenter valablement les intérêts de la «classe ouvrière» et plus généralement de la nation, des forces populaires progressistes.
C’est à ce titre que «l’hypothèse communiste» – justement réhabilitée sur le plan théorique par des philosophes comme Alain Badiou (malgré ses dissensions sur la question du rôle prédominant ou pas de l’Etat dans la transformation de la société) – peut se décliner aussi bien sur le plan politique que sur le plan de la lutte des idées. «Faire avancer d’un même pas les réalités et les consciences d’un même pas»…disions- nous il y a quelque temps dans nos textes de congrès : Comment cela se pourrait-il si l’on renvoie et l’on assimile la question du changement à celle de la prise du pouvoir et d’une hypothétique hégémonie politique ? Faudrait-il attendre que le PCF, ou tout autre formation se réclamant d’une stratégie de rupture, devienne ultra-majoritaire pour espérer des changements utiles à notre peuple ? Ce serait «mettre la charrue avant les boeufs» que d’imaginer l’irruption d’une hégémonie politique (électorale ?) avant même l’émergence progressive d’une «hégémonie culturelle» – qui ne se décrète pas, mais se construit patiemment dans le «mouvement réel» des relations sociales (…familiales, artistiques, de voisinage, de militantisme dans le monde du travail, à l’entreprise, au bureau, dans le quartier, dans les institutions…).
Plus grave encore peut-être.. : Ce serait s’éloigner et ne pas respecter ce qui s’est historiquement construit dans notre pays sous le concept de «république», en tant que mode de gestion de l’intérêt général (et accessoirement de propriété publique de l’en-commun). «La République est une et indivisible».., mais elle est placée sous le contrôle de la souveraineté populaire, qui se définit elle-même comme le jeu de rapports de forces, notamment de forces politiques, généralement organisées sous forme de partis politiques. En démocratie, aucune force politique ne peut prétendre à l’hégémonie (…sinon, çà s’appelle une dictature !), ni se revendiquer comme représentant l’entièreté de la souveraineté populaire.
Sauf donc à penser que la conquête du pouvoir étatique représente l’alpha et l’oméga d’une stratégie révolutionnaire (conception bolchevique amenant à la «dictature du prolétariat», concept que nous avons heureusement mis de côté…), une authentique «stratégie de rupture» anti-capitaliste visant «l’hypothèse communiste» (c’est-à-dire l’avènement d’une société dans laquelle l’épanouissement de chacun est la condition de l’épanouissement de tous) se doit de faire la part entre lutte politique (conquête d’un rôle et d’une place dans la gestion des affaires publiques à quelque niveau que ce soit…) et lutte idéologique (débat d’idées visant la construction collective d’une hégémonie culturelle partagée).
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Pour le dire enfin plus simplement : Nul ici ne soupçonne bien sûr JLM2017 de vouloir instaurer quelque dictature que ce soit.., la revendication d’une VIe République portée communément par les militants de la «France Insoumise» et par ceux du PCF est là pour en attester. Mais le chemin emprunté pour y advenir diffère fondamentalement selon que l’on se réfère à des modèles républicains respectueux de la différence – et donc de la notion de «compromis» (…non pas sur le terrain des idées, mais sur celui de la gestion des affaires communes) – ou à un modèle hégémonique privilégiant le verdict électoral pour hypostasier l’instance étatique et instrumentaliser le pouvoir majoritaire…
Quoi qu’il en soit, il y a de toutes façons encore aujourd’hui «loin de la coupe aux lèvres» en ces temps de dispersion, où la seule question qui se pose en réalité aux différentes fractions minoritaires de la gauche est de savoir qu’aucune d’entre elles ne peut en l’état espérer figurer au second tour de la présidentielle, laissant le champ libre aux forces politiques de droite et d’extrême-droite.. !
N’est-il pas temps encore de trouver un compromis unitaire ? Ni Benoit Hamon, ni Jean-Luc Mélenchon, ne peuvent ni ne doivent décider seuls du sort de la gauche, à la place des milliers et des millions de citoyens qui désespèrent de se voir enfermés dans un piège mortifère. Qu’importe en effet dans ces conditions ultimes de se savoir en troisième, quatrième ou cinquième position au soir du premier tour, si le second s’avère fatal ??? Quant au PCF, il ne se déjugerait pas, de mon point de vue – bien au contraire -, à mettre toutes ses forces pour qu’advienne enfin une candidature de rassemblement.
Contrairement à ce que professent d’aucuns, il ne s’agirait aucunement «d’apporter de l’eau au moulin» de la confusion (ou d’illusions durables sur le PS) – pour autant que nous restions fermes sur nos positions communistes… -, mais simplement de rester fidèles à nos engagements unitaires (sans concession ni naïveté) et de répondre dans la clarté à une attente forte du «peuple de gauche» – dans une configuration historique dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle s’avère lourde, très lourde de dangers pour notre République !
Serge GOUTMANN, architecte