7 JANVIER – 13 NOVEMBRE – MARS 2016 : JOURS ET NUITS DEBOUT !

La loi El Khomry a réussi à provoquer la dynamique pour un rassemblement tant espéré. Le mouvement social en cours est éminemment politique. Il dit la colère face à un gouvernement de gauche – élu par des électeurs pour une politique de gauche – qui trahi ses engagement et il dit aussi que le patronat ne peut pas faire la loi. Le retour de la question du travail, le refus d’être salarié « corvéable et jetable à merci »est une donnée singulière de ce mouvement social qui priorise l’être humain sur les profits. Il y a indissociablement mêlé la jeunesse, les nuits debout et les mobilisations syndicales construites dans les entreprises, dans les lycées et les facultés.
Sur le mouvement « Nuit debout » il s’en écrit tant, il s’en dit tant qu’il est difficile de ne pas répéter tout ce qu’il contient de colères, de refus, de revendications et d’espérances.

Des filiations avec d’autres mouvements (Podemos – Occupy), des héritages avec d’autres périodes (1968, 1995 contre la loi Juppé, 2008 pour les retraites) sont recherchés. Il y a certes des relations à faire. L’essentiel est aussi ailleurs.
Il est nécessaire d’évoquer le lien avec les ripostes aux attentats de 2015. En cela, ce mouvement est unique. Jusqu’à ce moment-là, la déception, le sentiment de solitude, les difficultés à se rassembler pour faire converger les résistances aux régressions et les espérances en « une autre vie possible » prévalaient.

Et il y eu le 7 janvier, l’horreur des attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper Casher, le 13 novembre, l’horreur des assassinats au Bataclan et dans Paris. Devant ces crimes, la France s’est levée. Les places ont été envahies pour rendre hommage aux victimes, pour se retrouver unis dans la réprobation, dans la résistance. Cette résistance, le 13novembre et les jours qui ont suivi, s’est manifestée dans le besoin de dire l’envie et la joie de vivre. Boire un verre à la terrasse des cafés, mettre le drapeau bleu blanc rouge sur son profil Facebook, ont pu sembler dérisoires, et pourtant quelque chose de profond s’est passé à ce moment-là. Vivre a repris du sens, République a rimé de nouveau avec citoyenneté. Les mots Liberté – Égalité – Fraternité sont descendus des frontons des bâtiments officiels vers les espaces publics : les places, les bars, les rues, pour être réinterrogés. Le besoin de se parler, de se redéfinir, de dessiner « une vie digne d’être vécue » a pris corps. Avec lui, celui d’être respecté, d’être pris en compte, d’être entendu. Un « JE » appelant du « NOUS » était en germe.

Il fallait une occasion pour le passage à l’acte. La proposition de déchéance de nationalité pour les binationaux a provoqué un débat profond, à l’instar de la blessure qu’elle était pour l’inégalité de traitement des citoyens devant la loi, la suspicion jetée sur une partie d’entre eux. Le rejet massif, notamment de la jeunesse de cette France du XXIᵉ siècle qui fait « mêlée » de ces histoires différentes a permis le retrait de ce projet.

La loi El Khomry fut le « trop, c’est trop ». C’est la seconde raison d’être unique de ce mouvement. Il est né dans la lutte et la mobilisation syndicale contre un projet de loi, de casse du code du travail. Ce n’est pas rien puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de la réactivation du rapport de force de classe Capital/Travail. C’est une mobilisation contre un projet gouvernemental adapté aux besoins du capital.

Ce « Mouvement-moment unique »se lève dans un moment de crise sociale, économique et politique inédite. Ce mouvement, face à cette crise globale, se réapproprie la politique. Il pense au-delà de 2017.

Les partis politiques confrontés à cette échéance, puisque c’est leur fonction, ont à puiser dans la mobilisation actuelle et dans les revendications du mouvement social une nouvelle manière d’être, de faire, une nouvelle façon d’être disponible, de se mettre à disposition du mouvement pour traduire dans les actes ces appels à changer de société. Et c’est dans cette écoute là que l’on mesurera que le clivage gauche/droite existe bel et bien.

Fabienne Pourre

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