A l’heure où ce qui est posé, est ni plus ni moins que l’existence d’un parti (le PCF), la redéfinition d’un communisme politique du 21e siècle appelle l’analyse du bilan et de notre stratégie : le communisme, c’est aussi une stratégie politique.
J’aurai au mois de mai – puisque je pense qu’il faut dire d’où l’on parle – 50 ans de parti, et, avec quelques années de JC et UEC, cela fera 55. J’ai donc adhéré à un parti à plus de 20% aux élections. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est plus le cas pour ceux qui adhèrent depuis quelques années… Cela m’oblige à être modeste, à les écouter. Parce que je mesure que c’est un plus grand défi d’adhérer au Parti communiste aujourd’hui qu’à mon époque. Dans ce sens, j’apprécie la contribution des 30 jeunes dirigeants du PCF pour son contenu. Je l’ai entendue comme un bel appel d’air pour entrer dans l’indispensable débat. Qu’ils soient jeunes me rassure pour l’avenir, plutôt que de m’irriter.
Comme il me semble que nous avons plus que du mal à produire les analyses bilan/stratégie (la nôtre et celle des autres)/mouvements de la société, je me suis attachée à lire les congrès du parti, du 22e au 34e. Singulièrement, les congrès de renouvellement liés à des difficultés, des échecs de mise en œuvre de stratégie adoptées, au regard des résultats souhaités : programme commun de gouvernement, nouveau rassemblement populaire majoritaire, mutation et Pacte Unitaire pour le Progrès, rassemblement antilibéral de ces dernières années, sous ses diverses formes. Hormis pour ces deux dernières périodes, les congrès du PCF ont su travailler le tryptique bilan/stratégie/dans quelle société vivons-nous ? au regard de nos objectifs de transformation, pour comprendre les difficultés et les surmonter.
Il en fut ainsi :
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Pour nous détacher du modèle soviétique et pour proposer le Socialisme à la française,
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Pour détricoter la stratégie « de sommet » de l’union de la gauche et du Programme commun de gouvernement. Stratégie qui fut un handicap – avons-nous dit – dans notre lecture de mai 68. Nous avons fait nôtre alors, la stratégie pour un nouveau mouvement populaire majoritaire,
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Il en fut ainsi aussi, après la chute du mur de Berlin, pour redéfinir le projet communiste (manifeste du PCF au 29e congrès), pour décider de la mutation du PCF, avec les espaces citoyens, pour un Pacte Unitaire pour le Progrès, la gauche plurielle quand fut posée la question après la dissolution de 1997. Mutation dont l’échec sera acté mais jamais réellement analysé.
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D’une analyse renouvelée de la société et du rapport des forces politiques, naît la stratégie qui place le PCF dans la gauche antilibérale (à la « gauche de la gauche », avec toutes les discussions sur les « deux gauches »), accouche de la création du Front de gauche, comme un cartel de partis à la gauche de la gauche. La tentative d’en faire un front populaire et citoyen échoue.
On remarquera qu’à partir de 1981 – pour ne pas revenir aux années 1930 – chaque fois, les options stratégiques sont discutées après des résultats décevants pour ne pas dire échecs et les nouvelles situations politiques ainsi créées : 15% pour Georges Marchais, 3,36% pour Robert Hue en 2002, 1,93% pour Marie-George Buffet en 2007.
Pour la dernière période écoulée, le bilan est lourd, très lourd. Il faut donc y travailler, avec intelligence. Oui, intelligence, dans le sens que «si elle est pouvoir de se transformer, elle est inséparable de l’auto-critique» pour citer la philosophe Catherine Malabou.
Pourquoi avons-nous choisi cette stratégie? Quand? Quelle évolution? Quels objectifs? Qu’en attendions-nous? Quels évènements ont contrecarré, contredit sa validité ?
Un exemple de différence d’appréciation mérite d’être discuté. Il concerne le référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen. puisqu’une lecture, une interprétation nouvelle des réalités jettent les bases d’une nouvelle orientation stratégique : la stratègie «antilibérale», «à la gauche de la gauche». Le résultat électoral majoritaire pour le non marque-t-il seulement un vote antilibéral? Je ne le pense pas. D’autres que nous ont permis ce non majoritaire. Quant aux électeurs socialistes qui ont voté non, se placent-ils dans ce courant désormais ? Il est très important de voir comment nous avons tranché dans l’analyse. Il est intéressant de rappeler que le positionnement décidé en 2005 est différent, voire à l’opposé, dans la manière dont le PCF avait réagi au « petit oui » de Maastricht. Nous avions appelé alors à ne pas rejeter ceux qui avaient voté oui et à « regarder ce qu’il y avait de commun dans le oui et le non chez les électeurs de gauche». J’ajouterai que le non majoritaire de 2005, pour les électeurs, n’est pas suivi d’effet. Cela a une conséquence lourde : celle de penser une inutilité du vote officiel. A cela s’ajoute que la formidable votation citoyenne pour la « Poste service public » n’est pas plus entendue. Le sentiment grandit que quoi que l’on fasse on n’est pas écouté. Le défi de Macron concernant la SNCF et les services publics, le « je compte sur les égoïsmes des Français pour gagner la bataille contre les cheminots » d’Édouard Philippe relèvent toujours de la stratégie de l’échec de toute mobilisation. Cela peut empêcher que grandissent la crédibilité, la possibilité de l’alternative aux politiques décidées, et plus fondamentalement aux lois du capitalisme.
Quant à l’impasse sur la crise de 2008 et ses conséquences, elle n’est pas seulement incompréhensible, elle devient une faute.
Pour comprendre ce qui se passe vraiment dans les têtes, prenons le cas des Ehpad. Pourquoi cette question prend-elle une telle ampleur ? Parce que les syndicats sont bien mobilisés pour la défense des salariés et des personnes concernées ? Certes, mais comme parti politique, nous devons aller plus loin, mesurer que la vieillesse, plus exactement la dignité de la vieillesse et la dignité dans la mort sont devenues un enjeu pour toute la société. Parce que tout le monde est concerné, le problème doit être traité au même niveau que celui de l’avenir de la jeunesse, de l’égalité Femme/Homme…
D’autres sujets méritent une analyse approfondie qui renvoie à la stratégie, comme la montée des populismes, nationalismes…
Tous ces nouveaux problèmes sont dans la tête des communistes, ils les vivent, et chacune et chacun sont capables d’alimenter le débat. En appeler à l’intelligence collective des communistes c’est tout simplement donner la parole aux communistes, parce que ce sont des citoyens et citoyennes au même titre que les autres. En ce moment difficile, ils veulent donc comprendre « pourquoi nous en sommes-nous arrivés là » ? Qu’est-ce que cette société ? Comment la transformer ? Ils veulent affirmer ce que Badiou appelle l’hypothèse communiste comme la seule alternative réelle au capitalisme.
Nous avons besoin d’espoir. Il y a un enjeu majeur à ne pas décevoir. Le congrès de 2018 doit donc être un congrès extraordinaire. Il suffit pour cela d’en revenir aux raisons qui ont justifié la décision de le tenir. Elles se résument, à mon avis, à une formule simple: nous sommes à l’heure des choix. L’affirmation serait discutable ? Qu’elle fasse partie de la discussion. J’espère que la stratégie pour les européennes décidée fin mars, la demande de déjà travailler la candidature des têtes de file pour les municipales, ne « court-circuitera » pas l’indispensable débat de congrès sur ces sujets.
Le manifeste du Parti communiste au 28e congrès dit : «Nous sommes faits pour être libres, nous sommes faits pour être heureux». Cela vaut comme un appel pour toute la société. Cela vaut comme un appel pour les communistes dans leur parti également. J’ai signé un texte intitulé « Pour un communisme du 21e siècle », il y a désormais plusieurs congrès. J’aimerais bien, que cette fois, cela ne soit pas lettre morte.
Fabienne Pourre