Covid-19 : tout est bouleversé, même le rapport entre travail et société

Les hommes apprennent de leurs erreurs, a-t-on l’habitude de dire. Nos erreurs ont été propulsées au cœur de notre vie avec le surgissement de la pandémie du Covid-19. Ces erreurs et leurs conséquences pour tous ont éclaté au grand jour. Le confinement a aggravé toutes les inégalités sociales, en matière de pouvoir d’achat, de santé, d’emploi, de logement, d’éducation, de transport… Ces phénomènes préexistants à la crise, liés à la dérèglementation des services publics et notamment de l’hôpital, dans le cadre de l’absolue priorité à la recherche du profit, se sont exacerbées. Le manque de masques a révélé la fracture entre travail et société. Le travail n’était plus capable de répondre aux besoins de la société. Détourné de sa finalité par les logiques des intérêts financiers, la recherche d ‘une main d’œuvre à moindre coût a conduit à l’arrêt des productions et leur délocalisation.

Dans ce contexte est apparue la volonté d’être utile et solidaire. Ceci est d’autant plus remarquable que cet engagement a été porté par des femmes et des hommes qualifiés « d’invisibles », les éboueurs, les livreurs, les caissières de supermarché… Lorsque l‘intelligence et la solidarité se substituent aux logiques individuelles et que chacun se découvre investi d’une responsabilité qui l’engage au service du bien commun, s’ouvre alors le chemin du possible, la perspective de changement. C’est ce sens de la responsabilité, de l’intérêt commun qui a permis de compenser les carences étatiques. Le puissant moteur de ce qui fait l’esprit de service public s’est mis au service de la santé, alors que ce droit fondamental est apparu de plus en plus en contradiction avec les politiques libérales. La question doit être posée et réfléchie dans le cadre de la recherche d’espaces démocratiques dans le monde du travail, espaces trop souvent hiérarchisés. Parce que la santé est un besoin essentiel comme en témoignent nos vœux de « Bonne Année », « La santé d’abord !». Nous le mesurons avec la dimension que cette question est en train de prendre avec les milliers de nouveaux cas de coronavirus chaque jour, en France.

Le contexte est bouleversé. Il a imposé à minima l’apparence d’unité nationale, sinon comment comprendre les mesures prises par Macron. La réalité c’est que nous avons mesuré les limites et les conséquences d’une concentration des décisions, combinée à une carence de coordination au niveau de l’État. Cette carence n’a pas permis de confédérer les idées, ni les actions de collectivités locales pourtant les plus à même à connaître et intervenir sur le réel. L’annonce par Macron du partage des pouvoirs avec les collectivités locales, pour desserrer l’étau autour de la figure présidentielle, est apparue pour ce qu’elle est, un leurre. Il était évident que le confinement dans un village d’Ardèche et le confinement en Seine-Saint-Denis n’avaient pas grand-chose à voir. Les solutions non plus. Cette situation a fait apparaître des inégalités régionales considérables. Le confinement a aussi mis en avant la question du télétravail. Il est apparu comme un élément de réponse pour les salariés comme pour les employeurs. C’est sans doute pourquoi il continue à faire débat comme en témoigne la multiplication des articles dans la presse, et les études.

Nous voici maintenant installés dans la pandémie. Elle relève d’un caractère imprévisible. C’est indiscutable. Raison de plus pour être disponible et pour cela à l’écoute de toutes et tous. N’oublions pas non plus que si la pandémie relève de la surprise, les inégalités étaient déjà bien présentes et sources de luttes nombreuses, comme en témoignent le mouvement des Gilets jaunes, les grèves contre la réforme des retraites, les luttes pour l’hôpital. Elles sont là bien présentes, avec une aggravation inouïe de la pauvreté.

Cette pandémie s’est infiltrée dans les fissures d’une société française fragilisée par la crise de la politique, la mondialisation capitaliste, les inégalités sociales. La crise ne relève pas que de la maladie. Elle relève tout autant des carences de nos sociétés. La réponse à celle-ci est donc également une réponse de société. Oui il s’agit d’un choix de société. C’est d’autant plus important d’en être conscient et d’agir en conséquence que de nouvelles pandémies ou des crises écologiques climatiques peuvent apparaître. L’anticipation est devenue une exigence fondamentale, vitale.

Dans cette situation imprévisible des éléments demeurent pour leur part prévisibles. On sait comment le capitalisme de la crise utilise chacune d’entre elles, s’appuyant sur les peurs qu’elles engendrent pour renforcer son emprise. On pense au détournement du télétravail et à l’ubérisation à marche forcée. C’est sans doute ce qui explique le moral du patronat, révélé par l’enquète de l’Ifop. 77% des patrons intérrogés sont confiants dans la sortie de de l’économie à venir, 83% le sont pour leur propre entreprise. N’est-ce pas l’occasion pour nous d’organiser un vaste débat démocratique où chacune et chacun revienne sur les leçons à retenir de cette crise, d’agir pour s’attaquer aux inégalités et à leurs causes ? Il est essentiel d’encourager l’expression large et démocratique, la réflexion. C’est la condition pour trouver les solutions pour les changements nécessaires, pour corriger les erreurs. C’est d’autant plus indispensable que dans cette période la défiance envers la politique s’est encore renforcée.

La rentrée, qu’elle soit à l’école ou au travail est difficile. Le port du masque comme les gestes barrières ne peuvent qu’aggraver les conditions de travail. La diminution des mesures d’aide ne peut conduire qu’à la dégradation de l’emploi, notamment dans les secteurs qui ont été les plus touchés par la crise. Prenons la mesure des conséquences du confinement qui a touché 2,6 milliards d’hommes et de femmes, suivi en France du couvre-feu actuel. Songeons aussi à ce qu’il touche aux libertés individuelles. Comment aujourd’hui fêter un anniversaire avec ses proches ? Le temps qui passe avec l’absence de perspectives immédiates conduisent à un ras-le-bol élargissant le champ favorable aux idées populistes.

Il nous faut également la dimension internationale de la crise en nous mettant à l’écoute de la situation dans les autres pays. Les réponses différentes apportées par chacun des États sont porteuses de résultats eux-mêmes différenciés. De plus, la crise a rappelé les interrogations sur l’Union européenne. Conçue comme espace de libre circulation des hommes et des capitaux elle s’est avérée inefficace. Sans parler de l’aggravation des tensions entre la Chine et les États-Unis.

Revisiter le rapport entre le syndicalisme et la politique

N’est-il pas temps de revisiter le rapport entre travail et société, syndicalisme et politique ? Nous savons que dans l’entreprise les salariés, qu’ils soient syndiqués ou non et quelle que soit leur organisation sont d’accord sur ce qui ne va pas et ce qu’il faudrait changer. Et pour que cette aspiration au changement se transforme en action encore faut-il qu’elle apparaisse juste et accessible. Si le caractère juste du droit à la santé parait évident, ce qui concerne la dimension de société de cette crise s’avère plus complexe. Plus encore en situation de crise. Ne faut-il pas commencer alors à construire par le bas? A l’image du cahier de doléances appelons chacune et chacun à la réflexion et à exprimer son avis sur ce qui dans cette période a dysfonctionné et ce qu’il faudrait faire pour changer. Ces cahiers – blogs, sites numériques de débat, autres canaux- d’anticipation nous permettraient de dépasser la perte de confiance dans la politique et tout ce qui s’oppose à une démarche unitaire.Cela nécessite également de travailler à démontrer que l’argent existe. Dans les soixante-dix dernières années le PIB mondial a été multiplié par sept alors que la population mondiale n’a fait que doubler. Le monde n’a jamais été aussi riche. Que dire également du prix d’un hôpital comparé à celui d’une arme nucléaire ? La question ne mérite-t-elle pas d’être reposée, simplement ?

Ce que sera « l’après-coronavirus » dépend pour beaucoup de ce que nous allons faire maintenant, au cœur de la crise de la pandémie. Le monde médical, des milliers de chercheurs dans le monde travaillent à trouver un vaccin contre le coronavirus et les moyens d’enrayer l’épidémie. Jamais de tels efforts n’ont été entrepris aussi rapidement, à une telle échelle. A nous tous aussi de travailler, de nous rassembler, pour mettre au point le vaccin et la stratégie contre le virus qui contamine toute notre société, et dont la pandémie a fait éclater la nocivité et la responsabilité: le libéralisme.

Denis Cohen, syndicaliste, a été Secrétaire général de la fédération Mines-Énergie CGT de 1989 à 2003

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