Reconquérir les classes populaires

Depuis plusieurs décennies, les enquêtes d’opinion insistent sur le décrochage de la confiance d’une majorité croissante de Françaises et de Français envers les institutions, notamment les partis. Le phénomène frappe particulièrement les jeunes, dans la dernière période, et en profondeur les couches populaires, les quartiers, des zones périurbaines, plus largement tout le pays. Ce sentiment d’abandon “prévalant dans nombre de villes et de quartiers (est) à l’origine d’une abstention grandissante de scrutin en scrutin ainsi que d’une méfiance massive envers la politique » analyse la base commune proposée par le Conseil national, relevant la responsabilité et les conséquences des politiques sociales libérales qui ont « instillé dans les consciences le doute sur la volonté de la gauche de répondre aux attentes populaires ».

Avec des questions comme celle du parti organisé, de la constitution d’une dynamique majoritaire, du projet pour la France, le rapport des classes populaires à la politique et leur reconquête est un des axes de la proposition de base commune. Il éclaire l’ensemble de la démarche. Il en fonde la cohérence, comme réponse aux questions posées au pays, ici et aujourd’hui, et pour son devenir.

I.- Quand le pouvoir d’achat vient bousculer le scénario annoncé

L’émergence du pouvoir d’achat comme première des préoccupations des Français a pris à contre-pied les thématiques annoncées, dans les médias et les états-majors, y compris à gauche. Leur prise à bras-le corps par Fabien Roussel dès le lancement puis tout au long de la campagne, avec la question du travail, a forcé l’intérêt sur la candidature présentée par le PCF.

Que les questions des salaires, du travail et du plein-emploi, de la souveraineté énergétique – décarbonée -, à vivre en sécurité, deviennent des sujets incontournables du débat a pesé sur la campagne. Toutes les forces politiques ont dû se positionner, y compris l’extrême-droite s’appropriant avec habilité et cynisme les thèmes les plus marquants du « modèle social ». La centralité de ces questions est amplifiée aujourd’hui par l’aggravation dramatique des conditions de vie, de la masse du monde du travail avec la baisse du pouvoir d’achat, drastique pour les plus vulnérables, et la détérioration des services publics (hôpital, école, transport…)

Les polémiques concernant cette centralité de la question sociale et du travail, ont révélé les tensions existant à gauche. Dans ce débat à gauche, notamment dans la relation complexe avec les Insoumis, une de ces tensions porte sur le rapport au populisme, ses fondements, ses impasses et ses dangers. Sur la manière la plus efficace de battre l’extrême-droite. Le populisme, en théorisant l’effacement des clivages mine des repères essentiels pour faire reculer les idées réactionnaires, surmonter les divisions dans le monde du travail. « L’affaiblissement des repères de classe favorise les tendances au repli et à la concurrence de toutes contre tous » relève la base commune du conseil national.

II.- Sur la diversification des luttes 

En prétendant que l’ « on a trop priorisé les luttes sociales », le texte alternatif, qui parle d’« erreur », entretient la confusion sur l’effort politique et dans le débat d’idées pour faire vivre la diversité des résistances et des luttes émancipatrices. La multiplicité des engagements est une force potentielle. Cette prise en compte impose d’autant plus l’effort d’intégration de la dimension sociale. Ancrer toutes les luttes dans leur diversité dans leur dimension sociale n’est pas les mutiler, les relativiser. Si le risque existe, ce n’est pas en niant la dimension de classe, au sens politique – comme le fait le populisme de gauche – qu’on règle la question. Tout au contraire, c’est un apport de la pensée progressiste – communiste et d’influence marxiste, mais pas seulement – dans les conditions du moment, que de ne pas opposer les luttes de libération et d’émancipation, individuelles et collectives. Cette dimension « de classe » unifie la masse de celles et ceux qui revendiquent une société plus juste, plus égalitaire, à partir de leurs problèmes et de leurs attentes. Il s’agit d’en faire une force politique à même de contester le pouvoir des forces dominantes, chacune et chacun apportant son énergie à partir de sa condition particulière et dans la dynamique face l’adversaire commun.

On pense à la portée transformatrice du l’extraordinaire élan du féminisme, de la puissance acquise par le mouvement contre le changement climatique, comme expression et acteur de la prise de conscience massive de l’enjeu, jusqu’à ses effets politiques. Ainsi l’intégration de la question du travail – qui produit quoi, comment, pour qui – contribue au renforcement du mouvement écologique. De même pour l’antiracisme quand la base commune proposé par le CN déclare que « la défense pour les services publics, contre les discriminations à l’emploi, sont partie prenante de la lutte contre le racisme ». De telles approches élèvent le niveau du débat en cimentant les espaces de solidarité. L’objectif étant, comme il est affirmé, de « constituer une majorité populaire créant les conditions des changements politiques, jusqu’au pouvoir ». Il n’y a donc pas dans le débat actuel une confrontation entre «dogmatisme identitaire» «universalismepassé» «ouvriérisme» et ouverture à la diversité des mouvements qui traversent la société. Il y a débat sur les conditions de la constitution d’une force majoritaire en capacité de gagner du pouvoir pour imposer ses choix.

III.- Nous parlons de la France

Dans cet effort patient, au plus près des réalités vécues, la proposition de base commune adoptée par le CN a le mérite et l’ambition de poser les termes d’un débat sur les conditions pour la transformation de la France, d’en proposer une analyse et une stratégie. Le texte en fait ses têtes de chapitre, en suivant le fil conducteur de « la France des jours heureux ».

Ouvrant sur « les années d’action au service de la transformation du pays », il s’agit d’ « ouvrir un nouvel horizon pour la France, pour une France qui renoue avec le droit au bonheur ». Il s’agit de « construire la France en commun » face des immenses défis tels que « la crise énergétique », et en « faisant entendre une voix souveraine en Europe ».

En renforçant la France sur le plan économique, social, par ses avancées et ses luttes progressistes, nous contribuerons aux efforts convergents en Europe et dans le monde pour un nouvel internationalisme de progrès, pour le multilatéralisme et pour la paix.

Au moment où la multiplication des crises déstabilise les repères essentiels, avec sa traduction dans le populisme et la montée de l’extrême-droite, il n’est pas secondaire de se réapproprier et de réancrer dans le pays, comme gauche, une vision positive, ouverte, internationaliste, de la souveraineté, de la Nation et de la République.

Daniel Cirera, le 13/01/2023

Print Friendly, PDF & Email