Un moment du communisme politique

Le paysage politique est dévasté, instable. Les institutions fragilisées, en déséquilibre, comme épuisées. Coupées du peuple. Pendant ce temps, tout est prétexte à appeler aux « sacrifices », à la résignation, à l’échelle de l’UE, la guerre au cœur du continent, la « guerre commerciale” déclenchée par Donald Trump. Si les conditions pour faire adopter le plan de régression et le mettre en œuvre sont acrobatiques, incertaines, bloquées, la détermination à l’imposer n’en est que renforcée.

Dans la confusion du moment, quelques constantes prennent la force d’une évidence : la droite reste la droite. Son rôle est certes de mettre en œuvre une politique au service des forces dominantes. Comme force politique, mâtinée de centre quand nécessaire, elle est d’empêcher la gauche d’accéder au pouvoir. Le refus de designer une Première ministre issue du NFP est révélateur. Comme quelques mois auparavant le coup de force pour imposer la réforme de l’âge de départ à la retraite. Empêcher la gauche d’exercer le pouvoir. Tel est l’enjeu. L’extrême droite est dans son rôle, elle, pour en temps de crise, canaliser les colères, les frustrations, la demande populaire de changement pour en empêcher l’expression politique transformatrice si ce n’est révolutionnaire. Avec l’étranger comme bouc émissaire, l’attisement du racisme, et l’anticommunisme, identitaire et violent.

D’autre part, on perçoit un retour à la question de « classe » à gauche, pas seulement en France. Elle émerge comme interrogation sur les conséquences de son abandon dans le décrochage politique des classes populaires au profit de la promotion des clivages identitaires, terreau des extrêmes droites.

Dans ce moment de grande incertitude, en phase avec l’opinion le PCF appelle au sang-froid face à la fébrilité ambiante qui fait de 2027 le point cardinal de toute l’agitation politique. Loin des préoccupations des Françaises et des Français. Non que l’enjeu soit marginal ou éloigné, réduit à des querelles politiciennes. Tout au contraire. Absents pendant deux campagnes et deux quinquennats les communistes ont payé le prix fort de la sous-estimation de la centralité de la présidentielle dans la vie politique française. Le profit engrangé par celui qui fut à deux reprises leur candidat, comme force dominante à gauche, jusque dans le choix des circonscriptions, a confirmé à leur corps défendant cette appréciation. Ils tirent aussi les enseignements des résultats des scrutins de la période : c’est maintenant et dans la réponse aux attentes populaires que se joue 2027.

Le titre de l’interview de Fabien Roussel au Parisien à l’occasion de la sortie de son livre Le Parti pris du travail « Le travail devra être au cœur du programme de la gauche en 2027 » pointe un axe stratégique : la participation au débat national et le choix de société posé à gauche. La mise en avant dans le champ politique de la centralité du travail, son originalité et l’ambition qu’elle exprime légitiment la participation à la confrontation et au rassemblement sur les choix de demain pour la France, jusqu’à l’échéance de 2027.

La simplification, la banalisation et plus encore les polémiques – sincères ou malveillantes – venant de la gauche, confirment la nécessité et la pertinence de la prise à bras-le-corps des réalités nouvelles posées par la question du travail. À travers et au cœur de cette question est posé, directement, à bas-bruit ou explicitement, un choix de société. La tension polémique autour du RSA est significative.

Ceux qui font la fine bouche, caricaturent ou ringardisent cette proposition ont tort. Hier, le thème de « la France qui travaille » a été accaparé par la droite. La CFDT a placé le 1er mai sous le logo « Le travail en tête d’affiche ». Autour de son baromètre annuel sur « L’état du travail 2025 », Marylise Léon donne le ton sur RTL : « Il faut travailler tous, et surtout : mieux. Mais ça les responsables politiques et les employeurs ne le veulent pas ». La presse s’est largement fait l’écho de la décoiffante étude de l’Institut Montaigne sur « la jeunesse et le travail ». Et on annonce pour la rentrée d’automne, un livre de Bardella « Une ode à la France du travail « (d’après Le Parisien). Significatif, la récente publication de La Nouvelle Revue du Travail traite du « Travail, espace du politique ».

Avancé comme choix de société, le thème perd sa banalité ou son déjà-vu. Une telle conception prétend construire une réponse populaire à la demande irrépressible de changement. Elle prolonge et approfondit la stratégie de reconquête des classes populaires.

Changement pour une vie meilleure. Changement pour s’attaquer au sentiment de déclassement et à la spirale du déclin et de la dépendance de la France. Il s’agit de donner une portée transformatrice aux luttes, à toutes les luttes. Les cas de l’acier avec ArcelorMittal ou de l’industrie pharmaceutique avec Doliprane, vendu à un groupe américain, prennent la dimension d’un scandale. Il s’agit de se donner les moyens d’investissements au niveau pour la reconquête d’un tissu industriel moderne. Il s’agit de la « reconstruction » d’une France qui compte et qui joue un rôle pour un monde de paix.

En prenant l’initiative comme force politique, les communistes choisissent leur terrain dans l’affrontement sur les choix pour le pays. Ils l’avaient fait sur l’énergie, la sécurité, le pouvoir d’achat. Aujourd’hui sur l’industrialisation et les services publics.

Un nouveau pas est franchi qui touche au choix de société. En posant le commun de classe, la valorisation du travail conteste les clivages identitaires qui divisent. Elle s’inscrit dans le mouvement pour une nouvelle manière de travailler et de produire. Elle permet de dépasser l’opposition entre création de valeur, production et réponse aux défis environnementaux : « Qui travaille pour quoi, comment et pour qui ? ». Elle appelle à agir pour mettre en concordance les attentes et les droits de chaque individu, l’intérêt collectif de la reconstruction du pays et l’aspiration au changement. Un moment du communisme politique en acte, en quelque sorte.

Daniel Cirera – 09/05/2025