Le foisonnement des recherches pour la mise au point d’un vaccin contre la COVID 19, leur rapidité, ont été largement soulignés. Rares sont par contre les interventions qui se sont penchées sur l’explication de cette situation.
Le fait majeur qui en est à l’origine est celui-ci : « Les chercheurs chinois ont très rapidement mis à disposition de la communauté des chercheurs en accès libre l’ensemble des séquences du virus, des réactifs et de la méthodologie nécessaires à ces tests diagnostiques. Il faut se rappeler que, lors de l’identification du virus de l’hépatite C, une entreprise américaine s’était dépêchée de déposer une demande de brevet pour tout verrouiller. » (Richard Benarous, spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut Cochin, dans l’Humanité du 18 mars). Le site de l’Institut Pasteur confirme : dès le 11 janvier, le génome du virus a été mis en accès libre.
Reconnaissant du bout des lèvres ce fait qui ne cadre pas avec sa grille de lecture, une spécialiste de la Chine, Valérie Niquet avançait que les laboratoires chinois qui ont mis à disposition des chercheurs du monde entier ces connaissances auraient été « rappelés à l’ordre » (propos tenus dans l’émission d’Arte « 28 minutes », 12 mai 2020). Peut-être, il reste qu’ils l’ont fait. Les propos du président de Huawei, Guo Ping, tenus en 2019 pour dénoncer le système de propriété intellectuelle et ses redevances comme « un droit de passage imposé par des bandits de grand chemin » (Le Monde diplomatique d’octobre 2020) montrent que ce n’est pas un accident. Il n’y a pas eu de « bandits de grand chemin » pour breveter le génome de ce virus (note 1).
Dans les propos déjà cités, Richard Benarous rappelait ce qui s’était passé avec l’hépatite C. Si l’on ajoute au tableau, la bataille juridique qui avait été menée des années durant entre l’institut Pasteur qui, découvrant le génome du virus du Sida, avait aussitôt déposé un brevet aux États Unis, et un laboratoire américain avec pour enjeu les profits à en tirer, la situation nouvelle n’en paraît que plus originale. Elle est à mettre en perspective avec les combats menés alors par plusieurs États, notamment l’Afrique du Sud, et le mouvement altermondialiste contre la limitation à l’accès aux médicaments par l’appropriation capitaliste de la connaissance pour l’accès aux médicaments contre le Sida, qui avait abouti à un premier résultat avec les accords de Doha, puis l’accord de Cancan du 30 août 2003 (note 2).
Marc Botenga, député européen du Parti du Travail de Belgique, rappelle que le brevetage des médicaments n’avait pas toujours été de soi : « Regardons ce qui s’est passé avec la polio d’une part, et le VIH de l’autre. Pour la polio, le vaccin a été tout de suite mis sur le marché, libre de brevet. Quand on demandait au biologiste Jonas Salk à qui reviendrait le vaccin qu’il venait de créer, il répondit : « Au peuple ! Il n’y a pas de brevet, Pourrait-on breveter le soleil ? » Et aujourd’hui la polio est éradiquée dans le monde. Pour le Sida, il a fallu 10 ans et le courage politique de Nelson Mandela avant que les traitements commencent à être disponibles en Afrique du Sud et sur tout le continent » . Marc Botenga évoque « la plate-forme d’échange de technologie mise en place par l’OMS » pour demander que l’Union européenne dise aux industries pharmaceutiques « si vous recevez des fonds de l’UE, alors mettez vos technologies, vos brevets, les procédés dans cette plage-forme commune de l’OMS » (l’Humanité du 25 juin).
Le 18 août, le responsable de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus s’inquiétait : « la concurrence pour obtenir les doses consacre un nationalisme des vaccins, qui fait exploser les prix. C’est le genre de faillite du marché que seule la solidarité globale, l’investissement dans le secteur public et l’engagement peuvent résoudre ». Au même moment des chercheurs en appelaient à des « transferts de connaissance » pour la « fabrication à grande échelle des vaccins » (revue Science du 13 août 2020).
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Pour Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, rien n’est réglé : « On ne comprendrait pas que les vaccins commercialisés le soient à des prix qui pèsent de façon importante sur les systèmes de santé et d’assurance maladie. Ces prix rendraient par ailleurs ces vaccins inaccessibles dans les pays en développement. … Il faut une transparence sur l’ensemble des aides des états (…à une transparence automatique lorsqu’un laboratoire demande un prix (…) Notre observatoire a proposé des amendements au PLFSS (le projet de budget de l’État) qui ont été rejetés pour la plupart ». « Nous avons besoin, comme l’ont fait l’Afrique du Sud et l’Inde, de demander à l’OMC de lever les droits de propriété intellectuelle sur les technologies COVID 19 » (entretien publié dans l’Humanité du 12 novembre). Mais d’ores et déjà, le monde a changé et les quelques firmes capitalistes qui dominaient le monde lors de l’épidémie du Sida ne pourront pas verrouiller l’accès aux médicaments comme elles l’avaient fait. La lutte pour que les connaissances dans le domaine de la santé soient considérées comme un bien commun se déroule dans un contexte plus favorable.
L’article premier de la Déclaration universelle des Droits de l’homme stipule que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Cette égalité passe par le droit à la vie. C’est le sens profond de ce combat pour la mise à disposition effective des vaccins et médicaments pour tous les êtres humains, contre l’appropriation capitaliste de la connaissance.
Éric Le Lann – 15 novembre 2020
Notes :
1 – Ce fait ne cadre pas avec la vision réduisant la Chine au rôle « d’acteur central de la mondialisation capitaliste », pour reprendre les termes de Julian Mischi, qui considère que cela pèse négativement sur le mot communiste (voir l’Humanité du 12 novembre). Dans ce cas précis, l’accès libre à la connaissance est à l’opposé de l’appropriation capitaliste.
2 – Lors de la création de l’OMC, on trouve bien une exception à la législation sur les brevets, mais elle concerne les armes et non pas les médicaments. Il est en effet précisé à l’article 73 qu’aucune disposition du présent accord ne sera interprétée comme « empêchant un membre de prendre toutes mesures qu’il estimera nécessaire à la protection essentielle de sa sécurité », et donc comme « se rapportant au trafic d’armes, de munitions et de matériels de guerre et à tout commerce d’autres articles et matériels destinés directement ou indirectement à assurer l’approvisionnement des forces armées ». Lien sur le cadre juridique actuel de l’accès aux médicaments au regard des règles de l’OMC : https://www.wto.org/french/news_f/news17_f/trip_23jan17_f.htm