Réussir le déconfinement : avant « l’après », ne sautons pas le « maintenant » et le retour à la « normalité démocratique » !

La crise sanitaire du Covid-19 a créé une situation exceptionnelle, par ses conséquences humaines (380 000 morts dans le monde, 29 000 en France) mais aussi par l’ampleur de nouveaux phénomènes : une diffusion de la pandémie accélérée à un rythme jamais vu par la mondialisation – une pression d’opinion presque partout pour prioriser la protection des populations – des mesures économiques étatiques, sidérantes dans un temps où le néo-libéralisme semblait triomphant.

En France, la situation a été exceptionnelle à bien des égards ;

— la critique politique du pouvoir a été ultravive et a surpris les observateurs politiques des pays voisins. L’action publique française a certes connu de graves défauts que des enquêtes objectives et complètes devront analyser sans complaisance, mais guère plus mauvaise que dans des pays voisins (pénurie de masques équivalente en Allemagne, difficultés hospitalières encore plus graves en Italie et Espagne).

— le confinement généralisé a eu des conséquences intellectuelles et politiques curieuses : les analyses « depuis mon salon » se sont multipliées sur « l’après », le « plus rien comme avant », « vite une société et une planète nouvelle ». Les restrictions de mobilité dues au confinement ont favorisé de manière positive un nouvel engouement pour le « local is beautiful », les circuits courts.

Plein d’idées, de propositions ont germé et éclaté, avec lesquelles je suis en accord pour la plus grande partie, à condition que la réflexion légitime sur « l’après » ne conduise pas à sauter à pieds joints le “maintenant” !

En particulier, je dis : vite au retour sinon à l’avant mais au minimum au “normal” et d’abord à la « normalité démocratique ». C’est sur cet aspect que je veux me focaliser dans ce billet.

N’oublions pas que nous avons accepté en France un état d’urgence suspendant les libertés de déplacement, de réunion avec l’instauration de sorte de « passeports intérieurs » qui nous ont fait reculer de deux cents ans au moins. Nous avons accepté un traitement militarisé de la crise : « nous sommes en guerre », les décisions ont été prises par un « Conseil de défense ». Cela ne s’est pas passé comme cela chez nos voisins, en Allemagne, aux Pays-Bas, dans les pays nordiques. Les peuples n’y ont pas été enfantilisés comme nous l’avons été en France.

Nous avons réussi quand même à limiter le dispositif électronique de traçage grâce à un sursaut démocratique

Ces limitations antidémocratiques étaient-elles nécessaires pour réussir la limitation de la propagation du virus ? J’en doute, d’autres pays ont fait autrement, l’exemple allemand est à méditer, notamment.

Il y a urgence à mettre fin à cet état d’urgence, à revenir vite à une vie démocratique normale. Il serait inconcevable (et même inconstitutionnel selon de nombreux juristes) qu’il soit prolongé après la-mi-juin comme le veut le gouvernement. Que signifiait l’interdiction de manifester à Paris contre les violences policières ? Réfléchissons bien à ce que représente cette participation de plus de 20 000 personnes sans le soutien des médias ! Qu’est-ce qu’elle exprime comme frustrations, colères rentrées !

Le retour à une vie démocratique normale en France est une nécessité si l’on veut que les citoyens et citoyennes débattent en toute sérénité pour revenir sur les leçons de cette crise exceptionnelle, de ce tsunami, de ce bouleversement sanitaire, économique, social et sociétal que nous venons et continuons de vivre. Il faut encourager l’expression large, la réflexion, le débat de tous les confiné-ées, de tous ceux qui ont fait leur boulot, leur devoir. C’est nécessaire pour trouver les bonnes solutions, les bons chemins pour les changements nécessaires, sinon ce sera l’expression désordonnée et stérile de colères éclatées, qui ne gêneront pas le pouvoir ou profiteront aux populistes.

Cette exigence de retour à une « normalité démocratique » ne peut se faire sans le développement d’une réflexion sur l’emballement médiatique français que nous avons connu et qui a surpris, là encore, nos voisins européens : émissions spéciales covid-19 en permanence sur radios et chaînes de Tv, successions de spécialistes souvent autoproclamés. Le phénomène amorcé depuis une trentaine d’années a été amplifié par le rôle considérable que jouent aujourd’hui les réseaux sociaux et spécialement Twitter. Ce climat médiatique stressant ajouté au confinement a produit une véritable “sidération” de millions de citoyens dans une atmosphère anxiogène qui a pesé dans les débats politiques et sociaux.

Cela a facilité la prolifération de déclarations irrationnelles, comme on l’a vu dans le débat sur la réouverture des écoles, alors que dans de nombreux pays européens celle-ci s’est faite normalement (voir les résultats de l’étude des pédiatres sur la faible contamination des enfants, dans la presse du 4 juin). Cela a expliqué aussi la survalorisation du recours aux « comités de spécialistes » dont on sait que la tendance est souvent de considérer d’abord leur angle de vue sans l’élargir à l’ensemble des problématiques de la société (certains n’étaient-ils pas prêts à confiner les enfants jusqu’en septembre, les « vieux jusqu’à Noël, voire plus, pour ne pas prendre de risques ?).

Comment, avec la profession, mener une réflexion sur l’éthique de l’information ? Des progrès ont eu déjà lieu avec la lutte contre les « fake news » dans de nombreux organes de presse mais le débat doit être élargi à l’information de crise.

Alors, oui, pour réussir le déconfinement, donc le “maintenant”, il faut tout de suite sans attendre un “après” enchanteur, réinstaller tous les fondamentaux, permettant à la démocratie de revivre et à la raison lucide de reprendre toute sa place.

Jean Sandétour – 4 juin 2020

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