Colères

Crise du Covit19 : maintenant et après – LE DÉBAT
L’équipe de Communisme-et-politique a décidé de s’inscrire dans le débat qui sous-tend la crise sanitaire du Covit19 : un débat politique et économique immédiat mais aussi un débat de société à l’échelon national et mondial. Les articles qui suivent n’engagent bien sûr que leurs auteurs.

Impensable. Le moment renvoie à un imaginaire de science-fiction. Qui d’entre nous, toutes générations confondues, pouvait s’attendre à vivre la ville désertée, la réclusion, sous contrôle de la police, tracés sur leur smartphone, privés des derniers moments des proches. L’humanité entière confrontée à l’épidémie.

Le mot, l’idée même de crise sont frappés. Les repères du passé s’effritent, 1929, 2008, jusqu’à l’évocation de la fin de la guerre mondiale. Tout de même : risquer une mort prématurée pour avoir serré une main, ou parlé de trop près à un parent ou un voisin … Les vies sont bouleversées. Et avec elles, notre vision du monde.

La conviction du « plus rien ne sera comme avant » tangue face à l’incertitude de l’« après ». Qu’est-ce qu’il en sortira ? L’idée de la crise comme « opportunité » demande une mise en perspective. Celle d’une société « frugale « ou « sans croissance », violente l’esprit quand elle néglige les souffrances, le poids des inégalités, l’inimaginable du désastre humain. Face à ceux qui pressent de suspendre le confinement pour « « sauver l’économie », puisqu’ « après tout on compte moins de morts que de victimes d’accidents de la route ou de la grippe, notamment chez les personnes âgées, » l’éthique fait front. Ce qui l’emporte, c’est la conviction du besoin de solidarité, d’humanité. Les marques de soutien aux personnels les plus exposés, à celles – elles sont les plus nombreuses – et ceux confinés dans les travaux les plus astreignants, souvent les plus mal payés, aident à supporter les angoisses et les solitudes.

Dans un texte remarquable publié par Mediapart, Patrick Boucheron, voit « un fait historique » d’une d’une surprenante nouveauté » dans le fait que « si, effectivement, la catastrophe pourtant annoncée est, à ce point, insupportable qu’elle fait reculer les pouvoirs les plus arrogants, si effectivement il paraît désormais évident que tous les gouvernements sont soumis à l’impératif catégorique de sauver les vies humaines, toutes les vies, « quoi qu’il en coûte », alors il faudra en tirer les conséquences, toutes les conséquences, que ce soit à propos de l’urgence climatique ou des drames humanitaires liés aux déplacements de réfugiés. »

La tension sur «l’après » est au cœur du traitement de la crise. Elle prend, en ce temps d’urgences, la forme maîtrisée de la colère face aux carences en matériel sanitaire, en personnels de santé, en lits. Une colère d’autant plus légitimée et partagée qu’elle est incarnée par des travailleuses et des travailleurs des secteurs les plus exposés, découverts indispensables. Cette colère pose la question politique. Celle des choix budgétaires dénoncés pendant des mois, depuis des années, par les personnels concernés, avec la sympathie et le soutien du pays. L’expérience vécue des mobilisations sociales rend plus insupportable encore les mensonges et les faux-fuyants du pouvoir, l’arrogance des ministres, quand ce n’est leur incompétence.

Dans l’article cité, Patrick Boucheron ajoute : « Bien entendu, ces conséquences ne se tireront pas d’elles-mêmes. D’autres acteurs, puissants et imaginatifs, peuvent en projeter de plus injustes ou de plus cyniques – il appartient ensuite à l’intelligence collective d’organiser politiquement une riposte, ou une veille, en tout cas un moyen de déployer les potentialités historiques qu’ouvre un événement d’une telle ampleur, dès lors qu’il creuse une brèche dans le temps. »

Historique. Le moment l’est dans la mesure où il appelle et permet des réponses exceptionnellement audacieuses face à la puissance et la centralité des questions soulevées par la crise et ses conséquences. La place de l’état, le rôle des services publics, les conséquences des coupes dans les dépenses publiques, l’approfondissement des inégalités, l’absence de politique industrielle et les délocalisations, la nature de la croissance, l’utilité de l’Union européenne, la place de la Chine, les tensions commerciales et militaires face au destin commun. Où sont les priorités? Tout fait débat.

« L’après » – aussi imprécis et flou qu’il soit – s’imagine à partir de la réalité vécue, et de sa perception, d’une vision du monde. La classe dirigeante, bien représentée au sommet de l’état et aux postes clé du gouvernement, est déjà au travail. Les déclarations du Medef sont sans équivoque. Aussi puissante soit-elle, elle n’est pas épargnée par les incertitudes. Économiques, comme tout le monde. Politiques. Jusqu’où, et vers où, porteront les colères et la demande de changements et de démocratie réels ?

A gauche, avec les écologistes, il s’agit de reconstruire un espoir, de sortir enfin de la spirale des déceptions. Les communistes y trouvent la raison d’être de leur parti. On pressent qu’il ne s’agit pas d’appeler à un soutien à un programme. Ni à un homme ou une femme providentiels. On pressent que les solutions d’hier ne sont pas opérantes, pour affronter les bouleversements du moment. Le temps est à une construction non pas d’un programme mais à de grandes orientations pour une offre politique à gauche.

Le climat est aux colères. C’est une force. Si elles rencontrent les idées novatrices, des organisations déterminées, le chemin peut s’ouvrir pour une politique nouvelle et les moyens de la mettre en œuvre. Les grands thèmes, le socle d’une politique nouvelle, en rupture avec celles des décennies passées, et pour affronter un moment historique sont là. Les débats étaient engagés sur le nouveau modèle de croissance, sur la place et les mutations du travail, sur le rapport entre fin du mois et fin du monde, sur la participation citoyenne et le besoin de s’organiser. Ils prennent aujourd’hui une intensité nouvelle, pour faire vivre l’intelligence collective, et construire la riposte.

Daniel Cirera – 15 avril 2020

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