Urgence sociale, écologique, démocratique, opportunités dans une période à hauts risques,
penser l’après-Macron :
pertinence et conditions d’un communisme moderne
Éléments pour le débat
Confrontée à l’urgence sociale, la France se trouve plongée dans une situation d’une extraordinaire intensité. Une crise et une contestation du système et du pouvoir qui appellent solutions immédiates et changements radicaux.
Le mouvement de contestation a bouleversé le scénario d’un « boulevard » ouvert pour un Président à qui tout devait sourire. Le mouvement des gilets jaunes comme expression des souffrances et du ras-le-bol » d’une France fracturée et violentée, rejoint, avec ses contradictions, les luttes des « blouses blanches », des « blouses noires » des avocats, des « stylos rouges », l’engagement des syndicalistes. Tout ce mouvement dans sa complexité fait écho aux fins de mois difficiles, impossibles même des petits salaires et des retraités, aux luttes locales pour la défense de tel ou tel service public. Affaibli par l’affaire Benalla, incapable de maîtriser une crise sociale inattendue, aussi profonde et durable, le pouvoir a été mis sur la défensive. Contraint à de premiers reculs, sans effets, Macron a tenté de canaliser la pression avec le « Grand débat », reçu avec scepticisme, mais occasion de l’expression des exigences populaires, hors du cadre officiel. La réponse qu’il apporte à cette crise, à chaud et sur la durée, n’épuise pas les questions posées. Avec les colères s’expriment la revendication simple et essentielle du droit de vivre de son travail, un refus de subir plus longtemps, la révolte contre les injustices et des inégalités de plus en plus insupportables. Dans les développements du mouvement s’est imposée avec l’exigence d’être écouté et de participer aux décisions, la prise de parole et la confiance en soi qu’il libère.
Trouver les voies de leur utilité dans cette situation, affirmer leur présence et cette utilité, tout de suite, au service du mouvement, et dans les élections européennes, pour les communistes, c’est la nouvelle orientation décidée au congrès qui est mise à l’épreuve, à chaud, et concrètement.
Loin de réduire les fractures, les choix de Macron les approfondissent Emmanuel Macron, son gouvernement, ont choisi dans les revendications exprimées à l’occasion du Grand débat une interprétation qui légitime la poursuite, et même l’accélération des réformes libérales déjà engagées. Pourtant, quand il fait de la « baisse des impôts », « plus forte et plus rapide », le cœur de sa réponse, avec en contrepartie, les coupes dans la dépense publique, donc des services publics, il ne fait qu’aiguiser les contradictions avec les attentes du pays. Avec les catégories les plus vulnérables, les plus précaires et les plus pauvres, des couches de la population qui jusque-là se considéraient protégées, salariés, retraités, cadres, petits entrepreneurs, les « couches moyennes », vivent la menace et la réalité du déclassement, les menaces du chômage et des fermetures d’entreprises, les difficultés de fin de mois et l’inquiétude pour leurs enfants, les souffrances physiques et morales liées aux conditions de travail. Isolés par les difficultés familiales et de la vie quotidienne, ou dans leur territoire, des femmes et des hommes vont trouver ou retrouver sur les ronds-points solidarité et humanité. Plus profondément encore, la révolte citoyenne exprime la perte de confiance qui touche toutes les institutions. En premier lieu, avec le rejet des « élites », la politique telle qu’elle se pratique, son incapacité à résoudre les problèmes de la vie, et à donner une espérance. La demande d’être écouté, respecté, d’être partie prenante aux décisions est au cœur de l’insurrection citoyenne. Cette urgence sociale s’alimente d’une révolte contre des inégalités et injustices de plus en plus insoutenables. La gravité de l’obstination à poursuivre dans la même direction tient au fait que loin de réduire les fractures, les choix de Macron les approfondissent. Si la France a mieux résisté que d’autres pays comparables à la crise de 2008/2010, si c’est le pays le moins inégalitaire en regard à ses voisins, elle le doit à son système de protection sociale, à l’influence maintenue de la puissance publique, à l’existence et l’attachement du pays aux services publics, même sévèrement attaqués. Elle le doit aussi à l’action autonome des collectivités locales – même si celle-ci est sérieusement affaiblie. C’est cela qui est en cause, le socle de ce qu’on appelle le « modèle social français ». La détermination du pouvoir à maintenir le cap des réformes libérales, contre vents et marées, tient à des raisons de fond. Elle est justifiée par la conviction qu’il n’est pas d’autre politique possible que celle des réformes structurelles libérales pour affronter les défis de la mondialisation dominée par la finance et les exigences du capitalisme. C’est une rupture fondamentale. C’est le projet en marche du formatage de la France aux normes du capitalisme mondialisé. C’est un choix de classe. C’est-à-dire un choix au service d’une classe, ultra-minoritaire, arrogante et coupée du réel de l’immense majorité du pays, la « bourgeoisie » du capitalisme d’aujourd’hui, qui concentre richesse et leviers du pouvoir et qui s’en donne les moyens politiques.
La recomposition politique à l’œuvre
Emmanuel Macron est l’homme qui porte le projet de la recomposition politique qui doit créer les conditions politiques de la mise en œuvre – enfin – des réformes que ni Sarkozy ni Hollande, et encore moins leurs prédécesseurs depuis les années 1990, n’ont réussi à mettre en œuvre, ou trop timidement. L’effondrement à gauche – résultat des urnes, perte d’influence et effacement du PCF, stratégies délibérées de sabordage du Ps – a libéré l’espace pour une « grande coalition » à la française. Le sens de classe des réformes, comme le cynisme brutalement sécuritaire, s’inscrivent en outre, dans la stratégie politique de consolidation du socle de droite, politique et électoral, de la majorité, mettant à la peine LR et visant la reprise de l’affrontement frontal du 2° tour de la présidentielle de 2017.
Quels que soient les moyens que se donne le pouvoir, il ressort affaibli de cette confrontation. Plusieurs éléments méritent attention et discussion pour fixer le cadre et les objectifs de l’intervention politique.
- Il s’agit du plus long conflit social-et-politique de ces dernières années, avec un soutien durable de la population, si ce n’est aux formes d’action, dans tous les cas aux revendications – du local au global – mises au coeur du débat. Ce soutien est l’élément décisif de l’influence du mouvement.
- Il plonge ses racines dans des frustrations et des attentes insatisfaites, une demande de justice sociale et un rejet d’une certaine forme de politique, qui travaillaient la société depuis plusieurs années. Sous une forme « classique » le fort mouvement unitaire des cheminots du printemps 2018 ouvrait le champ de la contestation sociale, sur les enjeux majeurs de la mobilité et de la place du service public dans les territoires, qu’on retrouvera sur les ronds-points. De même qu’on retrouvera dans les revendications ultérieures celles qui touchent aux fermetures de maternités et aux urgences, aux Ehpad, aux retraités, au logement. Le mouvement de contestation s’élargit encore avec les luttes unitaires des enseignants contre la réforme Blanquer, et les fortes mobilisations des salariés de la fonction publique. Même non abouties, les mobilisations contre la loi El Khomri ont participé à l’expression des contestations. Et quand nous parlons de « mouvement social », nous intégrons dans les forces actives toutes les luttes d’émancipation et pour l’égalité, comme la production intellectuelle critique, foisonnante et amplifiée avec la grande crise de 2008/2010.
- La convergence entre les manifestants de la Marche du Siècle pour le climat, les impressionnantes mobilisations dynamisées par l’engagement de la jeunesse, et les cortèges revendicatifs sur le pouvoir d’achat et la justice sociale « Fin du mois, fin du monde, même combat » ont marqué une avancée dans le dépassement de ce qui est présenté et vécu souvent comme contradictoire.
- Sous des formes diversifiées s’exprime une critique radicale, globale. Le capitalisme lui-même est dénoncé face à l’indécente et dangereuse domination de la finance, ses privilèges et ses paradis, dans la perception de la contradiction entre le libéralisme, les multinationales, et exigences écologiques.
Un formidable potentiel transformateur
Il y a là un formidable potentiel transformateur. Nul ne sait aujourd’hui jusqu’où il portera, les formes qu’il prendra, ses développements, ses essoufflements, ses conséquences politiques. L’expérience d’autres pays montre combien les inégalités, leur aggravation, sous la pression des politiques néolibérales, sont avec l’austérité et la fracture démocratique, le terreau fertile des populismes, de l’extrême-droite xénophobe et fascisante. La période est à hauts risques si ne se construit pas une perspective crédible d’une autre politique. Depuis plusieurs années, le niveau de l’abstention, la progression des votes de protestation, la volatilité des votes, indiquaient les frustrations et le fossé grandissant avec le système politique. En mai et juin 2017, l’effondrement des partis traditionnels, avec l’arrivée en tête à droite comme à gauche de forces se réclamant du dépassement des partis et du clivage entre gauche et droite – Macron/ En Marche, Le Pen/Rassemblement national et Mélenchon/La France Insoumise – consacraient l’épuisement de tout un système. Il exprimait la demande exacerbée d’un changement de personnes, d’idées et de pratiques. Le résultat de l’élection a fait éclater une réalité dangereuse. La mise en place du système macronien divisant la droite et siphonnant le Ps – appuyé sur le choix binaire avec Le Pen, la marginalisation du PCF – oblige à considérer que la bourgeoisie a encore des ressources. Par contre, à peine un an après son installation, l’explosion, aussi inattendue que brutale, d’un mouvement aux contours mouvants, lui aussi au-delà des partis et syndicats, et récusant le clivage droite/gauche, ébranle le dispositif. Au plan politique, dans le rapport des citoyens au système et à la politique, les cartes sont rebattues.
L’intervention communiste essentielle
C’est dans ce contexte de recomposition, qu’est posée la question de l’intervention politique des communistes, de leur utilité et de celle de leur parti. Avec la participation aux élections européennes, la contribution politique à apporter à la contestation de Macron et des politiques libérales, ce sont les premiers « travaux pratiques » des choix décidés au congrès.
Elle appelle une grande détermination des directions et une écoute du corps militant. Surtout elle demande un rapport ouvert aux potentiels de transformation générés par la crise. Les solutions ne se trouveront ni dans le cercle fermé de « l’entre-nous », ni dans la négation du besoin d’organisation, condition pour que le débat soit réellement l’affaire de tous ceux qui y participent, communistes ou pas. Un débat respectueux, mais lucide et exigeant.
Dans notre diversité, comme communistes, nous avons souhaité et soutenu ce changement d’orientation, sur la base de l’expérience et des analyses critiques de la période écoulée. Aujourd’hui, nous souhaitons contribuer à l’approfondissement ou à l’élaboration de nouvelles avancées, dans le débat ouvert, pluraliste, qu’implique une telle élaboration.
Pour penser le communisme d’aujourd’hui, moderne, nous mettons en débat une « nouvelle voie » : non pas une voie médiane entre le « ni nostalgie » « ni soumission à l’air du temps » : une voie différente. Une voie et une perspective définies et élaborées non par rapport au passé ou aux « autres » mais en rapport avec les exigences nouvelles montantes de la société. Nous défendons l’idée de la pertinence d’un communisme moderne, de dépassement de la domination du capitalisme, pour une société plus juste, plus humaine. L’expérience a épuisé la séduction des « modèles », de Rifondazione à Podemos, en passant par Die Linke, Syriza, le mouvement altermondialiste, ou les formidables expériences en Amérique latine. S’il est des leçons à en tirer – et pas à donner – c’est dans leur capacité, ou non, à apporter les réponses aux problèmes qui leur étaient posés, dans des rapports de forces donnés. Cela vaut pour les expériences qui se sont réclamées et se réclament du socialisme et du communisme.
Cette pertinence d’un communisme moderne, nous en fondons la conviction sur l’analyse que la période n’est pas, ou plus, dans l’aménagement du système mais dans son dépassement, c’est-à-dire dans l’ouverture de voies pour « autre chose » au-delà du capitalisme, en construction. Et nous n’opposons pas cette conviction et cette lutte politique pour une transformation radicale à l’effort pour le rassemblement majoritaire, populaire et politique, dans une gauche elle-même transformée. Au contraire. Le traitement des mouvements sociaux, dans la diversification des revendications et des formes d’action, dans ce qu’ils expriment de souffrances et demandes de priorité à « l’humain », la stratégie de construction d’une dynamique majoritaire face à Macron, cristallisent le faisceau de questions auxquelles est confronté le PCF, et nous-mêmes comme citoyen.ne.s et communistes.
- Le rapport entre mouvement social et intervention politique. « Soyez nombreux sur les ronds-points ! Et le 26 mai, venez voter pour nous ! » : on a entendu cette interpellation venant de certains dirigeants de gauche. Pourtant cette conception du rapport au mouvement et cette pratique sont au cœur du rejet de la politique et conduisent à l’échec. Une conception moderne, correspondant, et aux exigences d’efficacité, et au rapport nouveau à la politique, est celle qui place l’intervention de l’organisation politique dans un rapport dynamique avec le mouvement de la société. L’idée n’est pas nouvelle et les expériences sont riches et nombreuses. Pourtant la mise en pratique à grande échelle de cette conception se heurte à la coupure profondément ancrée entre le mouvement de la société et l’élaboration et l’action politique. Il faut donc pousser le débat : c’est à partir de ce qui s’exprime de contestation du système et du pouvoir, de force pour un changement et une démocratie réelle, que doivent s’élaborer les revendications politiques dans lesquelles se reconnaissent les femmes et les hommes, les citoyen.ne.s concerné.e.s.
- La conception de la liste du PCF aux élections européennes conforte une vision dynamique du rapport aux mouvements sociaux comme producteurs de politique. Par sa composition, les priorités et les thèmes. Le choix de Ian Brossat, responsable communiste, par le congrès du PCF, comme tête de liste répondait de manière claire aux conditions de la réoccupation de la visibilité du parti dans le champ de la politique après son absence depuis une dizaine d’années des élections structurantes, notamment la dernière présidentielle. Cette liste n’est ni « identitaire » en ce sens qu’elle n’est pas construite pour diviser à gauche, comme d’autres, et qu’elle se veut une contribution à une dynamique unitaire à venir. Une dynamique dans laquelle le parti communiste veut jouer un rôle. Elle n’est pas « identitaire » non plus en ce sens qu’elle n’est pas « de témoignage » mais porteuse d’une volonté de faire gagner une certaine conception de l’Europe, en dynamique avec les engagements sociaux et démocratiques, dont témoigne sa composition.
- Les conceptions même de l’organisation politique, du parti, de sa stratégie, de ses pratiques, s’en trouvent transformées. Poser ainsi la question de la transformation de l’organisation, en relation avec la conception stratégique de la transformation affronte le débat sur le « dépassement des partis ». A charge pour les forces et organisations politiques, à la confrontation d’idées et de perspective, de choix de société, d’alimenter le débat et de mettre en œuvre des stratégies.
- Ce rapport entre politique et mouvement social, mouvements de la société, luttes et attentes, pose la base d’une conception renouvelée de rassemblement majoritaire, de l’union à gauche. Face à la négation populiste et néolibérale du clivage frontal avec la droite, face à l’échec du renvoi à des compromis de sommet coupés des réalités, face à l’opposition entre alliances et changements radicaux, se dessine la projection d’une conception renouvelée du rapport entre union majoritaire et mouvement populaire pour la conquête du pouvoir, à tous les niveaux, face à celui de la bourgeoisie. Une union majoritaire ancrée dans l’intervention populaire et citoyenne, pour un « nouveau pacte social » écologique et démocratique, inscrit dans un projet émancipateur, dans le monde réel.
La mise en œuvre d’un tel rassemblement majoritaire en dynamique avec le mouvement social et citoyen ne se pose pas dans l’abstrait, ou pour un avenir plus ou moins lointain. C’est une stratégie à mettre en débat, à élaborer collectivement, à traduire en action aujourd’hui pour combattre et mettre en échec concrètement le projet transformateur porté par Macron et la bourgeoisie. C’est une stratégie d’avancées et ruptures, fondée sur les revendications concrètes et les combats communs, pour s’opposer et gagner. Qui aurait dit au moment de l’élection de Macron qu’à peine un an après éclaterait une crise sociale de cette ampleur ? Se mettre dans la perspective de « l’après-Macron » et ce qu’il représente, y travailler patiemment et avec détermination, sans décoller du réel, peut enclencher la dynamique majoritaire, politique, d’une alternative de gauche.
Débattons
Nous avons la conviction de l’importance et de la nécessité d’un débat exigeant, impliquant les communistes, ouvert sur la société, bousculé par le mouvement du monde. Nous y versons ces idées. Nous les mettons en discussion comme contribution sur ce que pourrait être un communisme moderne, contemporain. Les conditions d’avancées pour une société plus juste, plus humaine, pour un nouveau modèle de développement, pour une vraie démocratie, tout de suite, sont posées aujourd’hui, concrètement par les urgences et la vie réelle, le débat entre parti politique ou « mouvement », la pertinence et le besoin d’un parti du communisme ; la signification de « la gauche » et du clivage gauche/droite, et son actualisation, du « socialisme » et du « communisme », les conditions du dépassement du capitalisme.
Cette confrontation sur la manière de faire face aux questions posées va gagner en intensité, sous la pression de l’actualité, du développement, imprévisible par nature, des affrontements politiques et sociaux. Elle prend une dimension particulière quand l’histoire percute l’actualité alors que se profile la commémoration, l’an prochain, du Congrès de Tours en 1920, et des 100 ans du PCF.
Paris, le 30 avril 2019
À l’initiative de cet appel à débattre :
Pascal Bonneau (Côtes d’Armor), Christian Bastid (Gard), Michel Ceruti (Lot-et- Garonne), Daniel Cirera (Seine-Saint-Denis), Denis Cohen (syndicaliste, Seine-Saint- Denis), Daniel Durand (Loire), Marie-Jeanne Gobert (Calvados), Roland Jacquet (Rhône), Karin Jarry (Seine-et-Marne), Christian Jutel (Eure), Éric Le Lann (Hauts-de- Seine), Christian Poirson (Meurthe-et-Moselle), Fabienne Pourre (Val-de-Marne), Roger Tirlicien (Moselle), Julien Ruiz (syndicaliste, Gironde).
Contact : communisme-et-politique@gmx.org
www.communisme-et-poltique.org