Cette rentrée de septembre 2016 ne nous pas déçu. Elle a même répondu au-delà de toutes les attentes. Mécaniques populistes et offres politiques ont fébrilement poursuivi leurs cours au plus près des peurs et des inquiétudes, creusant l’écart avec les demandes simples et confuses de respect, d’écoute et les bloquant sur l’horizon de la présidence de la République. Le pays est meurtri, sous le choc des assassinats de Nice, un 14 juillet, qui ont percuté et fracturé le départ traditionnellement apaisé et familial des congés d’été.
La fixation sur les migrations, problème grave réel, amalgamées à l’Islam, sur fond de guerres, d’images écrasantes de bateaux surchargés et de populations sacrifiées, prend en otage les esprits, ce que confirment les élections en Allemagne, quelques semaines à peine après le vote de britanniques pour la sortie de l’Union. Les études, les conversations de voisinage et familiales disent le désarroi, les indécisions, la lassitude et le sentiment d’impuissance. Dans le même temps, on s’est pressé dans les festivals, dans les débats publics sous les platanes ou des agoras. Les tables des librairies se chargent, en cette rentrée comme dans les mois passés, d’essais, d’études, de récits, sur la démocratie, l’état du monde, sur ce que nous dit l’histoire, la dispute philosophique. Jamais la conscience écologique n’a été autant en éveil, évidente chez les générations nouvelles. Le moment est inédit, pris entre d’un côté l’effort exigé par la demande de renouvellement, entre le temps nécessaire pour les mûrissements et les gestations, la prégnance du social au quotidien, et en face, la pression d’un calendrier et d’échéances vendues comme écrites.
Pourtant le retour sur le réel dit que rien n’est encore clair, à l’horizon du printemps 2017. Ni sur les rapport de forces réels, ni les candidatures. L’agglutination médiatique et des enjeux internes à chaque force et chaque courant pouvant être présent dans la compétition, se réduit, par intérêt ou par une dynamique irrésistible, à l’affrontement des candidats. L’affrontement est structuré à droite par les tensions de la primaire, globalement surplombé par une présence subie mais vécue comme inévitable de Marie Le Pen au deuxième tour. A gauche l’incertitude est entretenue au parti socialiste par une présence annoncée de Hollande, mais incertaine, sur fond de déception et d’ombres portées de Valls et Macron. Dans ce qu’on appelle la gauche de la gauche, social-démocrate, communiste ou dite radicale, c’est dans la contestation l’absence de projet et pléthore de postulants, dans et hors primaire, Jean-Luc Mélenchon, lui, se pensant incontournable, par adhésion ou faute de concurrent crédible, et agissant en conséquence. Seul l’électorat passé et potentiel de la droite extrême a sa candidate. Pour le reste les options sont ouvertes.
Cette confusion ne devrait s’éclaircir qu’au début de 2017, une fois désigné le candidat de la droite, et après la primaire socialiste (si elle est organisée, et après l’annonce du Président Hollande, début décembre). Le décalage est frappant avec et les questions présentes dans les têtes, et l’absence à gauche d’offre permettant d’ouvrir la perspective, ou tout au moins un débat, citoyen et entre organisations pour résoudre l’équation posée pour le lendemain : empêcher la victoire d’une droite radicalisée adossée à une extrême-droite confortée et légitimement ambitieuse, et une majorité de gauche pour conduire une politique nouvelle, au-delà des déceptions, des frustrations et du repli résigné.
Dans un tel contexte, les choix du parti communiste ne concernent pas que cette organisation et ses membres. En positif ou en négatif ils influent le rapport de force à gauche et donc pour l’ensemble du dispositif politique offert au pays, à l’heure des choix.
L’enfermement sur la défaite annoncée, hypothèse que la réalité oblige à prendre sérieusement en compte, conduit à l’auto-réalisation de la prédiction. Par résignation, sentiment d’impuissance, ou par calcul stratégique, y compris chez certains à gauche. Cette résignation conduit à banaliser et minimiser la gravité des choix portés par la droite, certains allant même jusqu’à penser, sans oser le dire, qu’une cure de droite voire d’extrême-droite serait favorable à des mobilisations populaires. Faut-il rappeler ce que cette vision a de suicidaire, et d’aveuglement et d’irresponsable sur les conséquences pour le pays et pour les femmes et les hommes, pour les familles. Comme si déjà il n’y avait d’enseignements à tirer, aujourd’hui, des politiques menées par la droite et le Front national dans les régions, et les collectivités qu’elles dirigent.
Si l’on se laisse emporter par la vague de résignation et les enquêtes d’opinion qui disent certes la réalité d’aujourd’hui, alors le plus simple et réaliste est d’attendre, et laisser se mettre en scène le spectacle morbide dans lequel les appels pathétiques au Peuple ne sont que des appels à assister en spectateurs indifférents ou subjugués au désastre annoncé.
Peut-être alors faut-il revenir aux questions simples. Quelle politique nouvelle au lendemain des élections. C’est le point de départ. En tirant les enseignements critiques de l’expérience en France des cinq années écoulées, comme chez nos voisins (en récusant des modèles qui à l’épreuve du réel font la démonstration de leur fragilité). Entre les appels plus ou moins résignés au réalisme qui fait des contraintes de la mondialisation, des politiques européennes libérales, de la puissance des marché, espaces obligés et inamovibles de l’exercice du pouvoir, et les incantations volontaristes et solitaires d’un grand soir fut-il électoral, la question posée est celle d’une politique et de pratiques nouvelles, non comme une offre à saisir, mais comme un chantier, déjà ouvert aujourd’hui. Les hésitations, les craintes, les traumatismes des résultats antérieurs, dans la gauche communiste et radicale, la fixation sur la seule candidature à la présidentielle, bloquent le débat public sur le mur de cette échéance, et évacuent les conditions de la mise en œuvre majoritaire d’une politique nouvelle, après les élections.
Une des questions soulevées par ce scénario et un des termes de l’équation résident dans la capacité du parti communiste à en prendre la mesure, à trouver à partir du réel, une voie créative entre dilution et marginalisation identitaire. Pour l’instant, le Pcf est pris dans l’étau d’une présidentielle où la peur du résultat et du déclin paralyse l’ambition d’occuper l’espace politique, et d’autre part les limites atteintes par le confort de l’opposition et de la protestation. La question posée est celle de l’utilité d’une parole communiste claire et forte, revendiquant un rejet sans si ni mais d’une victoire de la droite et de l’extrême-droite, portant la disponibilité pour un contrat de majorité à gauche pour des réformes essentielles en France et en Europe, dans le contexte de la crise, et assumant la radicalité et la modernité d’une vision renouvelée des voies politiques de l’émancipation humaine.
Dans sa longue interview dans la revue Le Débat dont Le Monde publie de larges extraits, François Hollande répond à la question sur l’espace libéré « maintenant que le surmoi que représentait le Parti communiste par rapport à la gauche de gouvernement n’existe plus » . Ce surmoi ne s’appelle plus communisme, mais « alternative », « autre gauche » ou « insoumis ». Il est influent dans certains milieux universitaires ou militants qui considèrent que nous nous sommes perdus et que, de toute façon l’enjeu n’est plus le pouvoir. Le but c’est l’empêchement. C’est très différent comme démarche, surtout par rapport à ce qu’était la position du Parti communiste ». Il y a du vrai dans cette analyse. Elle peut être stimulante si elle fait réfléchir au fait que la gauche en France peut ne pas se réduire à une social-démocratie à deux faces, centriste/gestionnaire et radicale/protestataire.
La question d’une présence communiste, jusqu’à une candidature, ou de son absence, est donc posée dans campagne globale portant les élections comme passage vers l’après. Pas pour un témoignage nostalgique, mais pour démentir le froid constat de François Hollande. La question n’est pas partisane. Il s’agit d’être utile dans un moment où face à l’imaginaire virtuel proposé aux citoyens spectateurs, ce qui domine ce sont les incertitudes, de fortes et puissantes menaces entretenues par des forces conservatrices et réactionnaires, politiques et sociales déterminées, et d’autres à gauche écrasées par l’impuissance et l’incapacité à penser réellement le nouveau. Il s’agit moins de présenter des programmes -dont on sait le scepticisme, légitimé par l’expérience, qu’ils suscitent- que de répondre au besoin de sécurité, de justice sociale, de réduction des inégalités. Il s’agit moins de répéter « nouvelle manière de faire de la politique » que de la faire et de contribuer à en créer les conditions. Pas à partir d’un Grand soir mais à partir de ce qui existe, de ce qui s’exprime, souvent en silence, en appui sur cette exigence d’être partie prenante, en réponse à l’exaspération d’être tenu à l’écart. Avoir en tête et faire mûrir cette réflexion : quel que soit le résultat de l’élection, en ayant tout fait pour empêcher le retour revanchard de la droite et pour obtenir le meilleur résultat possible, la question décisive sera l’intervention citoyenne, des femmes et des hommes. Etre porteur de cela, d’une vision qui refuse de cliver entre novation démocratique et union, cela fait le socle d’un programme.
Chacun perçoit qu’il se joue en profondeur un mouvement qui porte bien au-delà de 2017. Ou bien les décisions des semaines et des mois qui viennent s’inscriront dans de pauvres calculs mesquins ou bien, avec lucidité et intelligence, elles poseront des jalons pour être présent dans l’inévitable renouvellement du paysage.
Daniel CIRERA – 22 septembre 2016
danielcirera360@gmail.com