Proposer un « choc d’investissement », est-ce servir le capital ?

Dans « Le parti pris du travail », Fabien Roussel invite à « un choc d’investissement pour regagner liberté et indépendance » (page 108 et suivantes). Lors du dernier Conseil national du PCF, une intervenante s’est opposée à cette orientation. Ceux et celles qui défendent cette idée feraient preuve d’une impardonnable compromission avec les choix capitalistes : « l’investissement », explique-t-elle, « c’est ce qui sert à accumuler le capital », « l’investissement crée une situation de suraccumulation de capital »i, l’investissement « c’est la réponse du patronat à la crise », « l’investissement, c’est-à-dire la dépense en capital, est aussi de moins en moins utile », « on ne cherche pas à faire redémarrer le système, on cherche à le transformer », « renversons la logique, en prônant l’emploi et la formation en priorité sur l’investissement », etc…

Ces arguments ont l’allure d’une leçon théorique faite à Fabien Roussel, afin de ramener la brebis égarée sur le chemin de l’analyse marxiste, la vraie, immuable, intangible, imperméable aux impératifs politiques. Mais sous des apparences révolutionnaires, ils cachent une extrême confusion autour de la notion de capital. Il faut en effet bien distinguer ce qui fait problème dans la domination du capital sur la production : ce n’est pas le capital comme valeur comptable, encore moins les équipements concrets auxquels cette valeur peut plus ou moins correspondre, c’est le capital comme pouvoir sur la production, sur la société, le capital comme rapport de domination et d’exploitation au cœur d’une lutte de classe. Si on perd cela de vue, on perd la boussole qui permet de comprendre ce que sont les rapports sociaux capitalistes.

Il est indéniable qu’il s’est établi maintenant une extraordinaire confusion derrière la notion de capitalisme. Les discours superficiels confondent souvent capitalisme et marché ou imaginent une volonté capitaliste de développer la consommationii. C’est par exemple le cas d’un auteur à la mode, Kohei Saito, qui, tout en se réclamant de Marx, défend l’idée que les capitalistes chercheraient à augmenter la création de valeur, alors que ce qui les intéresse, c’est la plus-value, le profit. Nous voici donc en présence d’une nouvelle version : ce qui intéresserait les capitalistes, ce serait l’investissement ! Comme si la réalité ne démontrait pas sans cesse qu’ils renoncent à investir (en capital fixe comme en capital variable, pour reprendre la terminologie du Capital) dès lors que le profit est insuffisant ! Voir dans les équipements la source des maux, ce serait aussi quelque part revenir au « luddisme », réaction qui date de deux siècles qu’avait surmontée depuis longtemps le mouvement ouvrier. Quant à l’idée que « l’investissement, c’est la réponse du patronat à la crise », elle passe également complètement à côté de ce qui est mis en évidence dans « Le parti pris du travail » : la réponse du capital, c’est de dynamiter le salariat, pour trouver d’autres moyens de drainer la valeur créée par le travail vers les profits (voir le chapitre 1 du « Parti pris du travail »).

Reprendre les positions avancées dans cette intervention, ce serait également se couper des salariés qui luttent contre les licenciements, les abandons de production ou de services. En effet, quand ils avancent des contre-propositions face aux choix du capital, le plus souvent, ils n’opposent pas investissement d’un côté, emploi et formation de l’autre, au contraire ! Faudrait-il que les communistes leur fassent la leçon, et leur demandent de revoir leur copie ? Ce ne serait pas sérieux et ce n’est pas l’orientation choisie par les communistes.

Un des éléments qui a fait la grandeur et l’apport du PCF au pays, c’est d’ailleurs d’avoir défendu les investissements massifs dès lors qu’ils pouvaient servir le pays et améliorer les conditions de vie. Il y aurait de nombreux exemples à donner. Ce fut notamment le cas dans l’énergie, et particulièrement dans la production électrique, avec les barrages et les centrales nucléaires. Sait-on qu’après avoir été le ministre à l’origine de la création d’EDF-GDF, Marcel Paul n’hésita pas en 1952 à proposer que de consacrer 700 millions de francs des réserves de la CCAS, le comité d’entreprise d’EDF-GDF, comme participation du personnel à l’équipement hydro-électrique du pays (voir page 185 du livre de la biographie « Marcel Paul, un ouvrier au conseil des ministres », Alexandre Courban/Nicolas Chevassus-Au-Louis), ce qui illustre l’extrême attention que les dirigeants communistes et syndicalistes les plus prestigieux portaient à l’investissement, dès lors qu’il pouvait servir au développement national et social ?

Pas de décarbonation sans investissement

Il y a un domaine où des positions doctrinaires et irréalistes sur l’investissement s’avéreraient particulièrement dangereuses, c’est celui du climat. Il n’y aura pas de décarbonation massive de la production sans des investissements massifs, qui sont au cœur du plan Empreinte 2050 du PCF. Et de même, il faudra également des investissements massifs pour l’adaptation, la protection contre les calamités climatiques. D’ailleurs, quand on regarde les positions du GIEC, on peut aisément en conclure qu’il préconise lui aussi un véritable choc d’investissement en ce domaine.

ÉRIC LE LANN

Eric Le Lann a publié récemment « Communisme, un chemin pour l’avenir » aux éditions Manifeste (préface de Florian Gulli).

i Relevons que Marx n’avait rien contre l’idée « d’accumulation » en elle-même. Ainsi dans le Capital, évoquant un avenir libéré de la domination capitaliste, il écrit : « … une partie du surtravail actuel, celle qui est consacrée à la formation d’un fonds de réserve et d’accumulation, compterait alors comme travail nécessaire » (Le Capital, éditions sociales, Tome II, page 200).

ii Cette question cruciale mériterait évidemment de plus longs développements.