L’ouverture du déconfinement a dû répondre à des pressions contradictoires. On est passé d’une situation statique, fermée, d’attente, à la charnière d’un équilibre mouvant entre le besoin de plus en plus pressant de se désenclaver et d’autre part les inquiétudes, les peurs liées aux dangers extrêmes de la contagion du Covid-19. Face à la question des conditions de la reprise d’activité, l’espace du débat public s’est rouvert. Quelle garantie de sécurité sanitaire, individuelle et collective ?
La perte de confiance envers le pouvoir renforçait le doute sur la sincérité de ses décisions. On sait la difficulté qu’ont eu les maires, les élus pour prendre en responsabilité les décisions pertinentes, confrontés à ces carences et aux atermoiements de l’exécutif. L’impatience, à peine dissimulée, des milieux patronaux et de leurs relais politiques et médiatisés, incitait à la vigilance. D’autant que des voix s’étaient déjà élevées pendant le confinement pour en contester la légitimité, et même son utilité. Son coût économique. En Europe, les manifestants virulents de l’extrême-droite populiste, l’AfD en Allemagne ou Vox en Espagne, portaient ce discours, comme au Brésil avec Bolsonaro, et aux États-Unis, fanatisés par Trump.
En France, le débat existait, feutré, mais sur un fond commun, opposant le nombre relatif de décès par rapport à d’autres épidémies, ou même aux accidents de la circulation, en appuyant sur la question sensible du chômage. Laissons les discours effarants sur les mérites écologiques de l’épidémie et du confinement, aveugles aux désastres humains. L’arrêt de productions, le chômage partiel massif, les pertes de revenu, souvent dramatiques, posent des questions graves. Comme la fermeture des écoles, des lieux d’accueil.
Ce qui est inacceptable, c’est la mise en regard du nombre de victimes et le coût économique de la prévention de l’épidémie, comme pression pour une reprise « quoi qu’il en coûte ». Ce cynisme atteint un summum qui frise à l’inconscience avec le tweet de Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, considérant « dingue » qu’on ait « plongé le monde dans la plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale pour une pandémie qui a tué pour l’instant moins de 100 000 personnes (sans parler de leur âge avancé) (sic) dans un monde de 7 milliards d’habitants [sic]. (…)1.
Le journaliste exprime ce que certains pensaient ou exprimaient d’un ton plus modéré. On peut discuter de la manière dont a été menée la réaction à la pandémie par le pouvoir, avec les carences que l’on sait, et sur le plan des libertés. Mais une telle hiérarchisation de la vie humaine alerte sur les dérives auxquelles peut conduire la logique libérale poussée à son terme. On touche là aux valeurs, à l’éthique. En revanche, le fait que la priorité ait été donnée à la sécurité sanitaire – dans des conditions extraordinairement difficiles pour les soignants et les personnels de service, et dure à vivre pour les familles – est d’une extrême importance. De même la multitude des actes de solidarité.
On le voit, la sortie du confinement a mis à nu la conflictualité du traitement de la crise. Celle-ci n’a jamais cessé, adossée à la collision entre les carences sanitaires et les mobilisations en défense de l’hôpital public. Elle s’est enrichie de l’expérience de la mise en question des dogmes libéraux. La montée des questions sur le rôle des services et des politiques publiques, sur les salaires des « invisibles », l’exacerbation inacceptable des inégalités et de la pauvreté, a mis sur la défensive les groupes dirigeants. L’avenir du travail, l’usage de milliards, des aides aux entreprises, alimentent le débat public.
Pour dépasser la tension entre la nécessité et la demande d’une reprise de l’activité, et l’exigence de sécurité, non négociable, la question sociale et démocratique doit devenir la référence pour conduire le déconfinement. C’est la vision de ce qu’il faudra qui détermine les choix de l’urgence. Tout autant c’est par les réponses aux urgences que se construit l’ambition transformatrice. En ce sens, le niveau de l’engagement, de l’intelligence collective pour « réussir », maintenant, le déconfinement, construit les repères pour « l’après ».
Daniel Cirera
1 juin 2020
1 Et pour être bien clair, il précise : « Le fait que le confinement ait été une solution inventée par la Chine, un régime totalitaire, pour contenir la pandémie de coronavirus aurait dû au minimum interroger sur sa légitimité ». (Libération, 1/05/2020). Comment résister à un tel argument !